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L’ÉTAPE

l’expression de la physionomie du visiteur était significative :

— « Hé bien ! qu’y a-t-il ? Tu es tout étrange ! On dirait qu’il est arrivé un malheur ? »

— « Oui, » répondit-il, « un horrible malheur. M. Berthier est venu cet après-midi chez mon père m’accuser d’avoir fait des faux à ma banque et de m’être ainsi procuré cinq mille francs. Il a ajouté que, si cet argent n’était pas rendu avant midi, il me dénoncerait à la justice. Voilà exactement ce qui est arrivé… »

— « Des faux ?… Tu es accusé d’avoir fait des faux ?… » s’écria Julie. « Mais ce n’est pas possible ! Tu es victime d’une calomnie, d’un malentendu ! Tu vas te justifier !… »

— « Je ne me justifierai pas, » reprit Antoine, « parce que c’est vrai. Oui, c’est vrai, » insista-t-il, sur un geste épouvanté de sa sœur, « j’ai fait des faux, et j’ai volé… Pas pour moi, pour une femme. J’ai une maîtresse que j’aime passionnément. Elle a eu besoin de cet argent. Elle avait des dettes. Elle allait être saisie, jetée sur le pavé. J’ai perdu la tête. J’ai volé pour elle. Je n’essaie pas de nier. C’est ainsi. »

— « Et notre père le sait ?… » s’écria Julie.

— « Il le sait. Mais, devant sa douleur, j’ai eu la force de lui mentir. J’ai inventé une explication qu’il a crue, pour quelques heures. Car, si je ne rends pas ces cinq mille francs avant midi, je te le répète, avant midi, c’est la prison, c’est les assises, c’est le bagne… »