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L’ÉTAPE

celle-ci. Il te plaît, à toi, de te la gâcher, cette unique vie, en fréquentant les raseurs de ta Tolstoï. Moi, je la veux courte et bonne, suivant une formule qui me convient absolument. Tu comprends donc bien que ce n’est pas ces sept petites lettres à écrire au bas d’un chiffon de papier : L. A. C. R. O. I. X, qui ont pu me faire hésiter beaucoup, quand il s’agissait de me tirer de la panade. Je t’ai vidé là le fond de mon sac. Conclus-en ce que tu voudras, mais ne m’embête plus de morale. Je mène mon auto à ma façon. J’ai accroché. Tant pis pour moi. Je me décrocherai, sois tranquille, et, sur ce, bonne nuit… »

Il tendait la main à son frère. Celui-ci mit la sienne dans sa poche, en secouant la tête, et répondit brutalement :

— « Non. »

— « Non » ? répliqua Antoine, « à ton aise, mais je te prie de me laisser me reposer, parce que je suis un peu fatigué… »

— « Tu sais que tout ce que tu viens de me dire est abominable, » reprit Jean, « et que, si tu penses vraiment de la sorte, tu n’es qu’un coquin, un abject coquin. »

— « Je t’ai prévenu que je n’aimais pas à être embêté de morale, » répondit l’autre que la colère gagnait, malgré son flegme. Ses yeux dardèrent un mauvais regard, et il ajouta : « Vois comme je suis plus généreux que toi. Je ne te reprocherai rien le jour où tu iras tendre ta langue au bon