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L’ÉTAPE

me dis pas son nom, j’aime mieux ne pas l’apprendre. Ne le dis à personne. Tu dois lui laisser la possibilité de réparer sa faute, s’il s’en repent. Celui qui doit l’apprendre, ce nom, et tout de suite, c’est M. Berthier. Il faut que dès demain matin, à la première heure, tu sois chez lui. Tu ne dois pas rester un jour de plus sous une pareille inculpation… Ah ! Je suis trop heureux, trop heureux ! Mon fils, viens m’embrasser… »

— « Et tu l’as laissé te montrer cette affection !… » disait Jean à Antoine, un quart d’heure plus tard. Le père, épuisé des émotions de cette journée, s’était retiré. Les deux frères, demeurés seuls, étaient sortis de la bibliothèque, et le cadet avait, comme le matin, après le déjeuner, suivi l’aîné dans sa chambre. Ce n’était plus avec cet obscur et incertain pressentiment qui devinait derrière le luxe et les habitudes d’Antoine un redoutable inconnu. C’était avec la certitude révoltée d’un honnête homme. Cette accolade donnée par le père abusé à l’enfant indigne achevait de mettre le jeune homme hors de lui. Il s’était tu, toujours paralysé par cette piété filiale à laquelle il ne se pardonnait pas de céder, — quand son père n’était pas là. Lui présent, il le sentait trop sentir. Cette fois encore, il n’avait pas pu lui porter un certain coup. Maintenant que son frère et lui se retrouvaient en tête à tête, il ne lui restait que l’horreur d’avoir as-