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L’ETAPE

aussitôt le drame intime dont la réponse négative de Jean au père de Brigitte risquait d’être un épisode décisif, il faut expliquer dès maintenant la nature très particulière de cette clause édictée par M. Ferrand et contre laquelle le jeune homme se débattait. L’insistance de l’un et la rébellion de l’autre portaient sur un point qui n’eût pas fait question, voici quelques années, entre des personnes aussi voisines de conditions, et, par suite, appelées, semblerait-il, à penser de même sur les actes essentiels de la vie familiale. Victor Ferrand en effet, appartenait, comme M. Monneron, au monde universitaire. Il avait été le camarade du père de Jean à l’École normale. Il était son collègue à Paris, occupant l’une des deux chaires de philosophie du lycée Henri-IV. Mais pour des Français d’aujourd’hui, — une récente et lamentable crise l’a trop montré, — vivre côte à côte, exercer le même métier, participer aux mêmes devoirs, aux mêmes plaisirs, ce n’est plus avoir la même âme. Le mal d’anarchie dont notre pays souffre depuis 1789, et dont il menace de mourir, c’est plus seulement dans les institutions, il a pénétré jusqu’au tréfonds des sensibilités. Nous n’avons plus de mœurs, au sens civique de ce beau mot. Des mœurs n’impliquent pas seulement un système d’habitudes communes. Elles veulent une conformité des cœurs entre eux et des intelligences. Les deux professeurs étaient partis des deux points les plus opposés du monde social, pour aboutir, sous une étiquette officielle-