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L’UNION TOLSTOÏ

d’objections ? Bon. Si M. Chanut n’en voit pas non plus, c’est une chose entendue… » Et, comme tous se levaient de leurs chaises et sortaient de la petite salle : « Tu dois être content de moi ? » dit-il à Monneron, qu’il retint par le bras, un peu en arrière, « c’est à cause de toi que j’ai voté oui, et aussi par dégoût pour cette brute de Riouffol ! C’est égal, s’il m’avait parlé comme il a parlé à Crémieu-Dax… Je ne sais pas ce que j’aurais fait, mais je ne l’aurais pas supporté… Il est vrai que… »

Il n’acheva pas. C’était le gentilhomme, chatouilleux sur le point d’honneur comme un raffiné de l’ancien régime, qui réapparaissait dans l’idéaliste humanitaire. Il venait de présider le comité d’une fondation socialiste, et il n’en restait pas moins M. le comte de Rumesnil, de toute l’insolence de son « il est vrai que… » La câlinerie de la première partie de sa phrase avait touché Jean à cette plaie toujours prête à saigner dans un cœur soupçonneux. Pourquoi son camarade lui marquait-il cette déférence émue, subitement, s’il n’avait rien à se faire pardonner ? Derrière cet « il est vrai que… » il avait démêlé l’orgueil de l’homme d’une autre caste, d’autant plus offensant qu’il ne s’exprimait pas tout entier, et il répondit :

— « Moi non plus, je ne l’aurais pas supporté. Mais cela tient peut-être à ce que ni toi ni moi n’aimons la Tolstoï comme lui… Il a pensé à l’Œuvre, voilà tout… Regarde… »