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L’ÉTAPE

ses phrases à côté de termes argotiques ou scientifiques, pêle-mêle, le choix déplorable de ses néologismes, le ton oraculaire de ses élucubrations, tout se réunissait pour faire, des proses qu’il commettait de temps à autre, de parfaits exemples de mal écrire. Le plus souvent c’était d’interminables lettres, adressées à l’un ou à l’autre, à un politicien qui l’avait déçu, à un journaliste dont un article lui plaisait ou lui déplaisait, à un conférencier de l’Union Tolstoï, ou simplement à l’un de ses amis. Quelquefois, comme ce soir, c’était une note limée pendant des heures, afin de ne rien laisser au hasard ! Celle-ci, qu’il commença de lire d’une voix un peu hésitante, car il était timide, débutait par cette phrase dont il était fier, comme Arvers a pu l’être de son sonnet : « Camarades, l’heure est solennelle. Il s’agit de savoir si notre groupe est de ceux qui s’attarderont, stagnants et hémiplégiques, dans la pourriture d’un passivisme de dilettantes et dans une veulerie léthifère d’indifférentistes amusés, qui ravalerait nos mentalités socialistes au rang des encéphales des crapulards de la Haute, saturés d’hydrargyre… » » Et il vaticina dix minutes durant, sur ce mode, qualifiant le naïf abbé Chanut de « prophète maupiteux », définissant le catholicisme une « désuète idolâtrie, digne des hallucinations fétichardes des époques quaternaires », et ainsi de suite, pour conclure que, si « le dénommé Chanut voulait tenir le crachoir à la Tolstoï et y expectorer les déjections glaireuses de sa tuberculose intel-