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L’ÉTAPE

parler ? Du christianisme et de la science. Nous sommes fixés là-dessus. Nous n’avons pas assez de temps, nous autres, du quatrième État, pour en donner à de pareilles calembredaines. Nous n’avons pas été dans les lycées, nous, ni dans les écoles, nous ! Nous sommes des prolétaires, qui besognons tout le jour, et qui venons ici le soir, après l’atelier, pour faire de nous des conscients. Nos heures sont comptées. Nous n’en avons pas une au service de ce fabuliste. J’ai dit… »

— « Et tu as bien dit !… » insista, en se dressant de toute sa haute taille, un jeune homme aux cheveux très longs et rejetés en arrière, dont le teint brun, les prunelles sombres et la voix chantante révélaient l’origine méridionale. Il s’appelait Marius Pons et il était de Toulon, où son père exerçait la profession peu révolutionnaire d’avoué. Lui-même était étudiant en droit, du moins officiellement. En fait, il ne s’occupait que de littérature. Il avait déjà publié deux plaquettes de vers composés dans la manière musicale et teintée de symbolisme qui a prévalu ces dernières années, mais chargés en même temps de mysticisme humanitaire. Il professait des théories d’un esthéticisme vaguement emprunté à Ruskin, sur la nécessité de donner au peuple une culture artistique par la décoration des plus humbles appartements et des plus humbles meubles. Sa formule favorite était « le droit de tous à la Beauté » comme si cette Beauté (avec le plus grand des B) pouvait se mettre en bouteille et se distribuer par