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L’UNION TOLSTOÏ

en revenant à la horde primitive. Des sept jeunes hommes réunis dans cette petite chambre, Jean Monneron était le seul à comprendre la folie de cette cantate de convulsionnaires. Il est juste d’ajouter qu’il était le seul à ne pas se joindre à ce chœur, d’autant plus effrayant qu’il se composait de si peu de voix. On y sentait mieux l’adhésion individuelle de ces volontés isolées au culte de la monstrueuse idole, du Démos-Moloch, à qui lettrés et illettrés, savants et ignorants, riches et pauvres, saisis du même délire, ont offert en holocauste, dans la fatale année 1789, la France et la civilisation, et leurs arrière-petits-fils sont tout prêts à recommencer. La première fois que Jean avait entendu ce chant de haine, c’était dans une réunion publique, il y avait deux ans. Il en avait eu le cœur serré. Il ne s’était pas en allé pourtant de cette assemblée, parce qu’il s’était donné cette raison philosophique, avec laquelle les idéologues de tous les temps sont devenus les complices des pires sauvageries : qu’il y a toujours de l’excès dans le premier élan d’une énergie populaire. La foi humanitaire était certes incorrecte et rude, mais elle marchait, elle agissait. C’était encore une des formules de Crémieu-Dax : « Notre premier devoir est de sauver ce qui est le principe même de toute civilisation : une humanité ardente. » Aujourd’hui, et quoique n’ayant pu se décider à une rupture définitive avec un groupement dont l’idée première, cette mutualité intellectuelle et morale, l’avait tant séduit, Jean ne se