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L’ÉTAPE

La raison tonne en son cratère.
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase.
Foule esclave, debout, debout !
Le monde va changer de base.
Nous ne sommes rien. — Soyons tout !

Les malheureux qui prononçaient cette incantation digne de l’ancienne alchimie : « le monde va changer de base, » osaient se relever de la Nature, — de cette universelle connexité des événements qui relie tout ce qui est à tout ce qui fut et à tout ce qui sera. — Ils avaient le mot Science en tête de leurs programmes, et ils n’hésitaient pas à comparer la raison, cette lucide et froide recherche objective des conditions suffisantes et nécessaires, à l’explosion aveugle du feu souterrain dans un volcan. — Ils parlaient de Progrès, et ils en méconnaissaient le principe même, qui est celui du développement par continuité, en vociférant cet appel à la totale destruction : « Du passé faisons table rase. » — Ils prétendaient servir la Justice, et ils ne s’apercevaient pas qu’en proclamant le despotisme du nombre : « Nous ne sommes rien. Soyons tout, » ils glorifiaient le plus brutal abus de la force et la moins légitime, parce qu’elle est la plus stupide. Et tous étaient de bonne foi ! Sauf Rumesnil peut-être. Encore la déformation intellectuelle qu’inflige à la fin aux plus résolus comédiens une attitude prolongée avait-elle déterminé chez lui une espèce de sincérité. Il était, lui aussi, tout près de croire que les collectivistes inauguraient une humanité nouvelle,