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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

d’intelligence étaient commandés, non point par cette raison dont lui aussi parlait toujours, mais par une foi mystique et où revivaient ses morts ? Que savait-il ? Monneron le regardait marcher, si frêle, si chétif auprès de lui, qui pourtant n’était pas bien robuste. La fièvre de la pensée était trop forte, dans cet organisme déjà usé par l’abus du travail et qui ne vivait plus que d’une vie nerveuse. Mais précisément cet excès de vie intérieure avait abouti à des intransigeances de conscience qui donnaient, pour ses amis, une réelle autorité à ses jugements. Ils pouvaient être affreusement partiaux, — c’étaient ceux d’un étroit sectaire ; — il les fondait toujours sur une conviction. D’où lui venait ce mépris évident pour le caractère de Rumesnil ? Sans doute, la manie d’être au courant, la crainte de retarder, de ne pas professer l’opinion du jour, de l’heure, de la minute, donnaient à celui-ci une allure un peu ridicule de vaniteux et de snob. Ce n’était qu’un ridicule, et qui se manifestait déjà du temps où Adhémar étonnait ses condisciples de Louis-le-Grand par des proses décadentes et des vers sans rime ni nombre, en parfait badaud raffiné, à la date de 1894. Crémieu-Dax souriait alors de cette course au dernier bateau. Ce n’était plus de l’ironie qui lui avait dicté cette parole : « Si j’étais marié, je ne le recevrais pas chez moi, » jugement terrible à porter, d’ami d’enfance à un ami d’enfance. Pourquoi continuait-il à se taire ? D’avoir pensé tout haut devant Monneron sur ce point particu-