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L’ÉTAPE

travers les siècles : la justice et le bonheur. La Révolution a méconnu ces deux lois, et, à cause de cela, elle avorte piteusement. Le paganisme méconnaissait ces deux aspirations, à cause de cela, il n’a pu durer. Le christianisme seul interprète l’inégalité et la douleur. Il leur donne un sens de justice et d’espérance, il hiérarchise et il console. Toute œuvre sociale faite en dehors de lui croit semer l’amour, et elle moissonne la révolte ; l’apaisement, et elle moissonne la haine… Il n’y a qu’un chrétien qui puisse aider le pauvre sans l’humilier et l’encourager sans lui mentir, tout simplement parce qu’il ne lui dit pas : Vous êtes ou serez mon égal, mais je suis votre semblable… » Sages paroles, qui avaient si souvent poursuivi Jean lors de ses visites au faubourg Saint-Jacques, qui le poursuivaient encore à cette minute ! Il épelait sur la muraille l’inscription : Au nom de l’humanité future et consciente… Et il sentait l’absurde grandiloquence de cette déclamatoire formule. L’humanité ? Quelle vaine abstraction !… Future ? Quelle autre abstraction !… Consciente ?… Et de quoi, quand la meilleure partie de notre être, la plus riche, la plus féconde, est précisément cet obscur génie, hérité de notre race, et qui ne se connaît jamais tout entier ; et le jeune homme imaginait en pensée le crucifix qui se trouvait sur le bureau de M. Ferrand posé là, sur ce mur, à la place de ces mots dépourvus de sens. Quelle clarté eût rempli toutes ces âmes ! Quel apaisement fut descendu sur tous ces fronts !