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L’ÉTAPE

relier Moïse à Danton et le Deutéronome à la Déclaration des Droits. Ce même Darmesteter n’a-t-il pas écrit, à propos d’une instruction pastorale de l’évêque de Chartres sur le premier livre de Salvador : « La révélation a tenu le même langage sur la crête du Sinaï et dans les salons du dix-huitième siècle, et Moïse est bien un conventionnel parlant du haut de la montagne ? » Si profonde qu’elle fût cependant, la foi révolutionnaire de Crémieu-Dax était demeurée dans le domaine de la théorie, jusqu’à cette funeste crise nationale de 1898, qui marque dès aujourd’hui une date dans l’histoire déjà séculaire de nos discordes civiles. Elle en a comme exaspéré et porté à l’état d’ébullition tous les éléments. C’était depuis lors que le jeune agrégé millionnaire s’était jeté dans l’action avec une frénésie froide, bien différente du vague humanitarisme qui, vers la même époque, sévissait dans les milieux universitaires. À cette mode d’attendrissement Jean Monneron, lui, avait cédé pour les motifs complexes qu’il avait dits à M. Ferrand, et Adhémar de Rumesnil par snobisme intellectuel. Le socialisme de Crémieu-Dax dérivait de raisons plus fortes. Son coup d’œil perspicace avait découvert, dans les derniers événements, un indice du travail de désillusion qui ramène les classes moyennes françaises du côté de leurs traditions originelles et les détache lentement, mais sûrement, des principes de 89. Dans son culte fanatique de ces erreurs, Salomon avait coura-