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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

entré à l’École Normale, et il en était sorti premier agrégé de philosophie. Il était en train de préparer une thèse, dont le titre seul sonnait comme un paradoxe, accolé au nom du fils d’un spéculateur fameux : Du fondement psychologique de l’idée de propriété. Ce livre, qu’il voulait conclure par une justification scientifique de l’hypothèse collectiviste, correspondait de la manière la plus étroite à des convictions dont ceux qui le connaissaient depuis l’enfance, comme Jean Monneron, ne pouvaient douter. Tout jeune, Crémieu-Dax avait adopté et fait sienne la thèse que Salvador, précisément, et Darmesteter ont développée avec un tel accent d’enthousiasme : l’identité entre les deux conceptions qui circulent d’un bout à l’autre de l’histoire d’Israël et les deux conceptions dans lesquelles se résume la société issue de la Révolution : « Deux grands dogmes, » a écrit l’auteur des Prophètes d’Israël, « font le Judaïsme tout entier : unité divine et messianisme, c’est-à-dire unité de loi dans le monde et triomphe terrestre de la justice dans l’humanité. Ce sont Les deux dogmes qui, à l’heure présente, éclairent l’humanité en marche, dans L’ordre de la science et dans l’ordre social, et qui s’appellent, dans la langue moderne, l’un unité des forces, l’autre croyance au progrès. » Bien souvent, Jean avait entendu son ami lui citer cette phrase et ajouter à ce « credo » des commentaires où il retrouvait les idées de son père, mais amplifiées, mais magnifiées dans une synthèse qui n’hésitait pas à