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LES MONNERON

maison sous ce prétexte. On sait ce qu’il en était, on sait aussi que Gaspard avait une bourse à Louis-le-Grand. Malgré cela, c’est à peine si l’on arrivait, avec toutes les dépenses inévitables, à joindre les deux bouts, suivant la formule vulgaire, mais expressive, de Mme Monneron. Elle était très médiocre ménagère et elle avait des goûts de toilette, il est vrai. Il est vrai aussi que la vie est chère à Paris, surtout pour les fonctionnaires d’un certain rang, et qui doivent représenter, ne fût-ce qu’un peu. Et puis, il y avait l’arriéré et quelques lourdes dettes contractées au temps si voisin où les quatre enfants étaient à la charge entière des parents. Jean Monneron savait tout cela, et que les deux seules prodigalités que se permît son père étaient l’achat de trop nombreux journaux, et, de temps à autre, un paquet de tabac. Il était plongé dans l’unique fauteuil de ce bureau, au moment où son fils entra dans cet asile, qu’il appelait volontiers τὸ φροντιστήριον, le « pensoir » par ressouvenir d’Aristophane :

… Ψυχῶν σοφῶν τοῦτ’ἐστί φροντιστήριον.

Il fallait l’entendre citer ce vers, sans se douter qu’en effet il était bien lui-même un de ces assembleurs de Nuées, fustigés par le poète athénien. Assis à contre-jour dans un vieux fauteuil à la Voltaire et les pieds sur une chaise, il avait à la bouche une pipe en terre, dont il tirait de lentes et gourmandes bouffées, — il ne se permettait qu’une de ces pipes après chaque repas, —