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L’ÉTAPE

moment un de ces succès de scandale qui seraient la honte du Paris actuel, si toutes les époques n’en avaient connu de pareils, engloutis aujourd’hui dans l’oubli. Seulement ces malpropretés se vendaient autrefois sous le manteau, et des collégiens de quinze ans ne les emportaient pas dans la poche de leur tunique, pour les oublier sur un des fauteuils du salon de leurs parents.

— « Voilà un prétexte pour commencer la conversation,… » pensa Jean. Il prit le volume, qu’il tenait à la main en entrant chez son père. Le professeur était en train de fumer, ainsi que l’avait annoncé son fils aîné, dans l’étroite chambre qui lui servait de bibliothèque. Les murs disparaissaient, comme chez Victor Ferrand, sous les livres. Il y avait cette différence que, sauf une file de tomes dorés sur tranche et habillés de chagrin, — prix de lycée et de concours, — les rayonnages de bois blanc ne supportaient guère que des ouvrages brochés. Joseph Monneron n’avait jamais eu devant lui, avec ses charges de famille, de quoi suffire à la dépense de leur reliure. Son budget annuel comportait, depuis qu’il était à Paris, avec les leçons et les cours supplémentaires, de douze à treize mille francs. La prime de sa grosse assurance en distrayait huit cents. La bourse d’agrégation de Jean à la Sorbonne et la position d’Antoine au Grand Comptoir étaient un soulagement, ou l’auraient été, si la mère eût tenu à ce que l’aîné payât sa pension aussi régulièrement que le cadet. Il restait dans la