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AVANT-PROPOS.

que la liberté, sinon la limite que notre droit oppose au droit d’autrui ? De cette restriction, si faible en apparence, et qui laisse subsister dans tout le reste le pouvoir dominical, des droits précieux ont peu à peu découlé pour le serf. Ne pouvant être vendu sans la terre dont il était devenu « membre », selon l’expression d’une loi romaine[1] il a cessé de pouvoir être séparé de sa femme et de ses enfants, membres comme lui du même domaine : une famille stable lui a été donnée. Il a reçu en même temps un domicile, où ses intérêts et ses affections se sont fixés. Il a cessé d’être un objet d’échange, une marchandise. De meuble il est devenu immeuble, en attendant que d’immeuble il pût devenir une personne. Être attaché à la glèbe, c’est-à-dire ne pouvoir changer ni de lieu ni d’état, nous semblerait une situation intolérable : ce fut pour le pauvre esclave une amélioration immense. Le domaine qu’il lui était interdit de quitter ne lui apparut point comme une prison, mais comme la patrie, la maison, le foyer domestique, tout ce qui lui avait manqué jusque-là. Devenu serf, il commença à tenir à quelque chose, il eut des racines quelque part, il fut enfin quelqu’un.

Raconter comment l’esclavage personnel s’est peu à peu transformé en servitude de la glèbe, c’est donc faire l’histoire d’un progrès relatif : c’est décrire le premier pas d’une classe opprimée vers la possession de soi-même et la liberté ; c’est indi-

  1. Code Justinien, XL. XLVII, 23.