Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonne les mêmes difficultés, et j’ai lieu de penser que des lettres imprimées, et en apparence adressées à tous les électeurs de ce département, ont été composées pour moi. Par où ai-je pu m’attirer cette attention, cette distinction ? Je l’ignore, et ne vois rien dans ma vie, dans ma conduite, jusqu’à ce jour, qui puisse être suspect de mauvaise intention, de cabale, d’intrigue, de vue particulière ou d’esprit de parti, ni faire ombrage à qui que ce soit. Est-ce haine personnelle de M. le préfet ? me croit-il son ennemi, parce qu’il m’est arrivé de lui parler librement ? Il se tromperait fort. Ce n’est pas d’aujourd’hui, ni avec lui seulement, que j’en use de cette façon. J’ai bien d’autres griefs, moi Courier, contre lui qui cherche à me ravir le plus beau, le plus cher, le plus précieux de mes droits, et pourtant je ne lui en veux point. Je sais à quoi oblige une place, ou je m’en doute, pour mieux dire, et plains les gens qui ne peuvent ni parler ni agir d’après leur sentiment, s’ils ont un sentiment.

Mon droit est évident, palpable, incontestable. Tout le monde en convient, et nul n’y contredit, excepté le préfet. Je vous prie donc, Messieurs, de m’inscrire sur les listes où mon nom doit paraître et n’a pu être omis que par la plus insigne mauvaise foi. Je suis électeur, je veux l’être et en exercer tous les droits. Je n’y renoncerai jamais, et je déclare ici, Messieurs, devant vous, devant tous ceux qui peuvent entendre ma voix, je les prends à témoin que je proteste ici contre toute opération que pourrait faire, sans moi, le collége électoral, et regarde comme nulle toute nomination qui en résulterait, à moins qu’une décision légale n’ait statué sur la requête que j’ai l’honneur de vous adresser.


LETTRES PARTICULIÈRES

Séparateur


Ire LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, le 18 octobre 1820.

J’ai reçu la vôtre du 12. Nos métayers sont des fripons qui vendent la poule au renard ; leurs valets me semblent, comme à vous, les plus méchants drôles qu’on ait vus depuis bien du temps. Ils ont mis le feu aux granges, et maintenant, pour l’éteindre, ils appellent les voleurs. Que faire ? sonner le tocsin ? les secours sont à craindre presque autant que le feu. Croyez-moi ; sans esclandre, à nous seuls, étouffons la flamme, s’il se peut. Après cela nous verrons ; nous ferons un autre bail avec d’autres fripons ; mais il faudra compter, il faudra faire une part à cette valetaille, puisqu’on ne peut s’en passer, et surtout point de pot-de-vin.

Voilà mon sentiment sur ce que vous nous mandez. En revanche, apprenez les nouvelles du pays. À Saumur, il y a eu bataille, coups de fusil, mort d’homme ; le tout à cause de Benjamin Constant. Cela se conte de deux façons.

Les uns disent que Benjamin, arrivant à Saumur, dans sa chaise de poste avec madame sa femme, insulta sur la place toute la garnison qu’il trouva sous les armes, et particulièrement l’école d’équitation. Cela ne me surprend point ; il a l’air ferrailleur, surtout en bonnet de nuit, car c’était le matin. Douze officiers se détachent, tous gentilshommes de nom, marchent à Benjamin, voulant se battre avec lui ; l’arrêtent, et d’abord, en gens déterminés, mettent l’épée à la main. L’autre mit ses lunettes pour voir ce que c’était. Ils lui demandaient raison. Je vois bien, leur dit-il, que c’est ce qui vous manque. Vous en avez besoin ; mais je n’y puis que faire. Je vous recommanderai au bon docteur Pinel, qui est de mes amis. Sur ces entrefaites, arrive l’autorité, en grand costume, en écharpes, en habit brodé, qui intime l’ordre à Benjamin de vider le pays, de quitter sans délai une ville où sa présence mettait le trouble. Mais lui : C’est moi, dit-il, qu’on trouble. Je ne trouble personne, et je m’en irai, messieurs, quand bon me semblera. Tandis qu’il contestait, refusant également de partir et de se battre, la garde nationale s’arme, vient sur le lieu, sans en être requise, et proprio motu. On s’aborde ; on se choque ; on fait feu de part et d’autre. L’affaire a été chaude. Les gentilshommes seuls en ont eu l’honneur. Les officiers de fortune et les bas officiers