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Messieurs ? Si vous refusez de m’en croire, lisez la circulaire imprimée du préfet, en date du 16 septembre ; vous y trouverez ce paragraphe :

Dans le cas où vous n’auriez pas encore joui de vos droits d’électeur dans le département (c’est, Messieurs, le cas où je me trouve), il est nécessaire que vous vouliez bien m’envoyer un acte qui constate que depuis quatre ans vous n’avez pas exercé ces droits dans un autre département.

Que vous en semble, Messieurs ? Pour moi, lisant cela, je me crus déchu sans retour du droit que la Charte m’octroie, et sans pouvoir m’en plaindre, puisque c’était la loi. Ainsi l’avait réglé la loi que le préfet citait exactement. Car, à ce même paragraphe, la circulaire ajoute : Comme le prescrit la loi du 5 février 1817. Le moyen, je vous prie, Messieurs, de fournir la preuve qu’on demandait ? Comment démontrer au préfet, de manière à le satisfaire, que depuis quatre ans je n’ai voté dans aucun des quatre-vingt-quatre départements qui, avec celui-ci, composent toute la France ? Il m’eût fallu pour cela non un acte seulement, mais quatre-vingt-quatre actes d’autant de préfets aussi sincères et d’aussi bonne foi que celui de Tours ; encore ne pourrais-je, avec toutes leurs attestations, montrer que je n’ai point voté. Quelque absurde en soi que me parût la demande d’une telle preuve, de la preuve d’un fait négatif, je croyais bonnement, je l’avoue, cette demande autorisée par la loi qu’on me citait, et n’avais aucun doute sur cette allégation, tant je connaissais peu les ruses, les profondeurs… J’admirais qu’il pût y avoir des lois si contraires au bon sens. Or, on me l’a fait voir cette loi, où j’ai lu ce qui suit à l’article cité :

« Le domicile politique de tout Français est dans le département où il a son domicile réel. Néanmoins il pourra le transférer dans tout autre département où il payera des contributions directes, à la charge par lui d’en faire, six mois d’avance, une déclaration expresse devant le préfet du département où il aura son domicile politique actuel, et devant le préfet du département où il voudra le transférer.

« La translation du domicile réel ou politique ne donnera l’exercice du droit politique, relativement à l’élection des députés, qu’à celui qui, dans les quatre ans antérieurs, ne l’aura point exercé dans un autre département. »

Tout cela paraît fort raisonnable ; mais s’y trouverait-il un seul mot qui autorise le préfet à demander un acte tel que celui dont il est question dans la circulaire, et qui m’oblige à le produire ? il ne s’agit là d’autre chose que de translation de domicile, et l’on m’applique cet article à moi, cultivant l’héritage de mon père et de mon grand-père, et de cette application résulte la demande d’une preuve négative qu’aucune loi ne peut exiger.

Il faut cependant m’y résoudre et montrer à la préfecture que je n’ai voté nulle part. Sans cela je ne puis voter ici, sans cela je perds mon droit, et le pis de l’affaire, c’est que ce sera ma faute. La même circulaire le dit expressément, et finit par ces mots :

J’ai lieu de croire que vous vous empresserez de m’envoyer la pièce dont la loi réclame la remise (quoique la loi n’en dise rien) afin de ne pas vous priver de l’avantage de concourir à des choix utiles et honorables. On aurait droit de vous reprocher votre négligence, si vous en apportiez dans cette circonstance.

Belle conclusion ! Si je néglige de prouver que je n’ai voté nulle part, si je ne produis une pièce impossible à produire, je suis déchu de mon droit, et de plus ce sera ma faute. Ciel, donnez-nous patience ! C’est là ce qu’on appelle ici administrer, et ailleurs gouverner.

Je ne m’arrêterai pas davantage, Messieurs, à vous faire sentir le ridicule de ce qu’on exige de moi. La chose parle d’elle-même. Je n’ai vu personne qui ne fût choqué de l’absurdité de telles demandes, et affligé en même temps de la figure que font faire au gouvernement ceux qui emploient, en son nom, de si pitoyables finesses, en le servant, à ce qu’ils disent. Dieu nous préserve, vous et moi, d’être jamais servis de la sorte ! Non, parmi tant d’individus qui dans les choses de cette nature diffèrent d’opinion presque tous, et desquels on peut dire avec juste raison, autant de têtes, autant d’avis et de façons de voir toutes diverses, je n’en ai pas trouvé un seul qui pût rien comprendre aux prétextes dont on se sert pour m’écarter de l’assemblée électorale. Et par quelle raison veut-on m’en éloigner ? Que craint-on de moi qui, depuis trente ans, ayant vu tant de pouvoirs nouveaux, tant de gouvernements se succéder, me suis accommodé à tous, et n’en ai blâmé que les abus, partisan déclaré de tout ordre établi, de tout état de choses supportable, ami de tout gouvernement, sans rien demander à aucun ? D’où peut venir, Messieurs, ce système d’exclusion dirigé contre moi, contre moi seul ? car je ne crois pas qu’on ait fait à per-