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à ses affaires. Mais que Foy, dans ce moment de verve, applaudi de toute la France, prélude une espèce d’apostrophe, sans autrement, peut-être, y penser, on dresse l’oreille aussitôt, l’alarme est au camp, les muets parlent, tout s’émeut ; et s’il eût continué sur ce ton (mais il aima mieux rendre hommage aux classes élevées), s’il eût pu soutenir ce style, la scène changeait ; M. Pasquier, surpris comme un fondeur de cloches, eût remis ses lois dans sa poche ; et moi, petit propriétaire, ici je taillerais ma vigne, sans crainte des honnêtes gens. Ô puissance de l’apostrophe !

C’est, comme vous savez, une figure au moyen de laquelle on a trouvé le secret de parler aux gens qui ne sont pas là, de lier conversation avec toute la nature, interroger au loin les morts et les vivants. Ou ma tous en Marathôni ! s’écrie Démosthène en fureur. Cet ou ma tous est d’une grande force, et Foy l’eût pu traduire ainsi : Non, par les morts de Waterloo, qui tombèrent avec la patrie ; non, par nos blessures d’Austerlitz et de Marengo, non jamais de tels misérables……… Vous concevez l’effet d’une pareille figure poussée jusqu’où elle peut aller, et dans la bouche d’un homme comme Foy ; mais il aima mieux embrasser les auteurs des Notes secrètes.

Moi, si j’eusse été là (c’est mon fort que l’apostrophe, et je ne parle guère autrement ; je ne dis jamais : Nicole, apporte-moi mes pantoufles ; mais je dis, ô mes pantoufles ! et toi, Nicole, et toi !……), si j’eusse été là, député des classes inférieures de mon département, quand on proposa cette question de la liberté de la presse, j’aurais pris la parole ainsi :

Milord Castlereagh, mêlez-vous de vos affaires ; pour Dieu, Herr Metternich, laissez-nous en repos ; et vous, mein lieber Hardemberg, songez à bien cuire vos saur kraut.

Ou je me trompe, ou cette tournure eût fait effet sur l’assemblée, eût éveillé son attention, premier point pour persuader, premier précepte d’Aristote. Il faut se faire écouter, dit-il ; et c’est à quoi n’ont pas pensé nos députés de gauche ; à employer quelque moyen, tel qu’en fournit l’art oratoire pour avoir audience de l’assistance. Autre chose ne leur a manqué ; car du langage-, ils en avaient, et des raisons, ils l’ont fait voir ; de l’invention et du débit, et avec tout cela n’ont su se faire écouter, faute de quoi ? d’apostrophes, de ces vives apostrophes aux hommes et aux dieux, dans le goût des anciens. Sans laisser au ventre le temps de se rendormir, j’aurais continué de la sorte :

Excellents ministres des hautes puissances étrangères, ne vous fiez pas trop à vos amis de deçà. Ils vous en font accroire avec leurs Notes secrètes, non que je les soupçonne de vouloir vous trahir. Ce sont d’honnêtes gens, fidèles, sur lesquels vous pouvez compter, dont les services vous sont acquis, et la reconnaissance assurée pour jamais, incapables de manquer à ce qu’ils vous ont promis, d’oublier ce qu’ils vous doivent. J’entends par là, seulement, qu’ils s’abusent et vous trompent avec le zèle le plus pur pour vos excellences étrangères. Venez, il y fait bon ; accourez, vous disent-ils. Cette nation est lâche. Ce ne sont plus des Français, la terreur de l’Europe, l’admiration du monde. Ils furent grands, fiers, généreux. Mais domptés aujourd’hui, abattus, mutilés, bistournés par Napoléon, ils se laissent ferrer et monter à tous venants : il n’est bât qu’ils refusent, coups dont ils se ressentent, ni joug trop humiliant pour eux. Quand d’abord nous revînmes derrière vous dans ce pays, nous les appréhendions ; ce nom, cette gloire, nous en imposaient, et longtemps nous n’osâmes les regarder en face. Mais à présent nous les bravons, chaque jour nous les insultons, et non-seulement ils le souffrent, mais, le croiriez vous ? ils nous craignent ; nous, que vous avez vus dans l’opprobre, la fange, rebutés partout, signalés parmi les espions, les escrocs, à toutes les polices de l’Europe, nous sommes ici l’épouvantail de ceux qui vous firent trembler ; et c’est de nous qu’on les menace, lorsqu’on veut qu’ils obéissent. Venez donc, accourez ; butin sûr, proie facile et tributs vous attendent ; ou ne bougez ; fiez-vous à nous. Avec sept hommes, nous nous chargeons de tondre et d’écorcher le Français pour votre compte, moyennant part dans la dépouille, et récompense, comme de raison.

Voilà ce qu’ils vous mandent par M. de Montlosier. Gardez-vous de les croire ; puissances étrangères, ne les écoutez mie ; car ils vous mèneraient loin. Leurs Notes ne sont pas mot d’Évangile. Demandez à Fouché ce qu’il en pense, et combien de fois lui-même a été pris pour dupe, lorsqu’il croyait, par leur moyen, en attraper d’autres. Il faut l’avouer néanmoins, il y a du vrai dans ce qu’ils vous disent. Nous souffrons des choses…… des gens…… Quinze ans de galère, tranchons le mot, ont abaissé notre humeur fière, et sont cause que nous endurons nos correspondants ; ce qui à bon droit les étonne. Cependant, par bonheur, échappés du bagne de Napoléon, nous avons des hommes encore, et ne sommes pas sans quelque vigueur ; témoin tant de machines qu’on emploie