Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des prêtres, des biens vendus, de la dîme et des bois du clergé, soit futaies ou taillis : voilà de quoi l’on dispute. Ajoutez-y les donations, les legs par testament, l’argent, l’argent comptant, les espèces ayant cours : voilà ce qui enflamme le zèle de nos docteurs, voilà sur quoi on argumente ; mais de Caron, pas un mot. Du dogme, on n’en dit rien ; il semble que là-dessus tout le monde soit d’accord ; on s’embarrasse peu que les cinq propositions soient ou ne soient pas dans le livre de Jansénius. Il est question de savoir si les évêques auront de quoi entretenir des chevaux, des laquais, et des…

On demandait naguère au grand vicaire de S.... : Quels sont vos sentiments sur la grâce efficace, sur le pouvoir que Dieu nous donne d’exécuter les commandements ? Comment accordez-vous avec le libre arbitre le mandata impossibilia volentibus et conantibus ? Que pensez-vous de la suspension du sacrement dans les espèces, et croyez-vous qu’il en dépende, comme la substance de l’accident ? Je pense, répondit-il en colère, je pense à ravoir mon prieuré, et je crois que je le raurai.

C’est un homme à connaître, que ce grand vicaire de S...., homme de bonne maison et d’excellente compagnie. On dit bien : l’air aisé ne se prend qu’à l’armée. Il a tant vu le monde ? sa vie est un roman. C’est lui dont l’aventure à Londres fit du bruit, quand sa jeune pénitente, belle fille vraiment, épousa le comte d***, officier de cavalerie. Au bout de quinze jours, la voilà qui accouche. Le mari se fâcha ; demandez-moi pourquoi ? et l’abbé s’en alla, par prudence, en Bohême. Là, on le fit aumônier d’un régiment de Croates. Cette vie lui convenait. Sain, gaillard et dispos, se tenant aussi bien à cheval qu’à table, il disait bravement sa messe sur un tambour, et ne pouvait souffrir que de jeunes officiers restassent sans maîtresse, lorsqu’il connaissait des filles vertueuses qui n’avaient point d’amant ; obligeant, bon à tout, le quartier-maître un jour le prend pour secrétaire. Fort peu de temps après, la caisse se trouva, non comme la pénitente. Bref, l’abbé s’en alla encore cette fois ; et de retour en France, depuis quelques années, il y prêche les bonnes mœurs et la restitution.

LETTRE VIII.

Véretz, 12 février 1820.
Messieurs,

Vous vous fâchez contre M. Decazes, et je crois que vous avez tort. Il nous méprise, dites-vous. Sans doute cela n’est pas bien. Mais d’abord, je vous prie, d’où le pouvez-vous savoir, que M. Decazes nous méprise ? quelle preuve en avez-vous ? Il l’a dit. Belle raison ! Vous jugez par ce qu’il dit de ce qu’il pense. En vérité, vous êtes simples. Et s’il disait tout le contraire, vous l’en croiriez ? Il n’en faudrait pas davantage pour vous persuader que M. le comte nous honore, nous estime et révère, et n’a rien tant à cœur que de nous voir contents. Un homme de cour agit-il, parle-t-il d’après sa pensée ? Il l’a dit, je le veux, plusieurs fois, publiquement et en pleine assemblée, à la droite, à la gauche ; eh bien ! que prouve cela ? qu’il entre dans ses vues, pour quelque combinaison de politique profonde que nous ignorons vous et moi, de parler de la sorte, de se donner pour un homme qui fait peu de cas de nous et de nos députés ; qui craint Dieu et le congrès, et n’a point d’autre crainte ; se moque également de la noblesse et du tiers, n’ayant d’égard que pour le clergé. Voilà certainement ce qu’il veut qu’on croie de lui ; mais de là à ce qu’il pense, vous ne pouvez rien conclure, ni même former de conjectures, fussiez-vous son intime ami, son confident, ou mieux, son valet de chambre. Car il n’est pas donné à l’homme de savoir ce que pense un courtisan, ni s’il pense. O altitudo !

Vous n’avez donc nulle preuve, et n’en sauriez avoir, de ces sentiments que vous attribuez au premier ministre ; mais quand vous en auriez, quand nous serions certains (comme, à vous dire vrai, j’y vois de l’apparence) que M. Decazes au fond n’a pas pour nous beaucoup de considération, faudrait-il nous en plaindre et nous en étonner ? Il nous voit si petits de ces hautes régions où la faveur l’emporte, qu’à peine il nous distingue ; il ne nous connaît plus ; il ne se souvient plus des choses d’ici-bas, ni d’avoir joué à la fossette. Et, en un autre sens, M. Decazes est de la cour ; il n’est pas de Paris, de Gonesse ou de Rouen, comme, par exemple, nous sommes de notre pays, chacun de son village, et tous Français ; mais lui : La cour est mon pays ; je n’en connais point d’autre ; et, de fait, y en a-t-il d’autre ? On le sait ; dans l’idée de tous les courtisans, la cour est l’univers ; leur coterie, c’est le monde ; hors de là, c’est néant. La