Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE PAUL LOUIS COURIER 9

mots grecs, avoir détruit le palladium de Florence. Les bibliothécaires dénoncèrent Courier au monde savant, comme ayant anéanti ce grec dans l’original pour trafiquer de la copie, ou pour empêcher qu’on pût vérifier la découverte qu’il s’attribuait. L’affaire eût fait peu de bruit si Courier n’eût voulu répondre aux attaques des bouquinistes qui le poursuivaient ; mais il fit, sous le titre de Lettre à M. Renouard, libraire de Paris, qui s’était trouvé présent à la découverte du Longus, quelques pages remplies de ce fiel satirique, de cette verve de raillerie méprisante et cruelle, dont il n’y avait plus de modèles depuis les réponses de Voltaire à Fréron et à Desfontaines et c’était le style des Provinciales. La lettre à Monsieur Renouard ne pouvait manquer d’attirer l’attention. Le gouvernement lui-même s’en inquiéta. Courier avait voulu intéresser à sa querelle l’opinion française, toute faible qu’elle était alors. Il insinuait que les pédants florentins ne s’attaquaient à lui si vivement que parce qu’il était Français, et qu’on était bien aise en Italie de s’en prendre à un pauvre savant de la haine qu’inspirait la vice-royauté. La chose étant montée si haut, on sut que l’homme de la tache d’encre était précisément un chef d’escadron qu’on réclamait à l’armée depuis Wagram. Voilà Courier dans un grand embarras pour s’être si bien vengé des bibliothécaires florentins. Le ministre de l’intérieur voulait le poursuivre comme voleur de grec, et dans le même temps celui de la guerre prétendait le faire juger comme déserteur. Il s’en tira toutefois, mais à la condition de ne plus employer contre personne cette plume qui venait de révéler sa terrible puissance : il se le tint pour dit. Courier ne fit donc plus qu’étudier et voyager jusqu’à la paix. Il voyageait en 1812, à l’époque de la conspiration de Mallet. Il était sans passe-port ; on l’arrêta comme suspect, puis on le relâcha en reconnaissant qu’il ne se mêlait point de politique. Ce fut là son dernier démêlé avec le régime militaire impérial.

La restauration des Bourbons, le retour et la seconde chute de Bonaparte, se succédèrent trop rapidement pour tirer Courier de l’inactivité politique à laquelle il s’était condamné. La catastrophe lui avait paru dès longtemps inévitable, et peut-être il y voyait à gémir à la fois et à espérer. D’ailleurs, un mariage, qui, sur ces entrefaites mêmes, était venu combler tous ses vœux, l’absorbait en partie. Ainsi, dans ces deux années désastreuses, dont les résultats dominent encore l’époque actuelle, Courier ne prit point parti entre Bonaparte et la coalition, entre la vieille cause de Fleurus, qui de lassitude laissait tomber l’épée, et celle de Coblentz, hypocritement parée de l’olivier de paix. Mais, voir la France deux fois envahie, pillée, insultée, mise à contribution, et tous ces malheurs, toute cette honte ne tourner d’abord qu’au profit d’une famille qui trouvait le trône vide et s’y replaçait ; voir une poignée d’émigrés, vagabonds et mendiants de la veille, se donner l’orgueil et revendiquer insolemment l’odieux de ces deux conquêtes ; voir d’affreuses persécutions éclater jusque dans la plus paisible, et de tout temps la moins révolutionnaire de nos provinces, contre quiconque n’avait pas refusé un gîte et du pain à nos tristes vaincus de Waterloo ; il n’y avait pas d’animosité contre Bonaparte, pas de ressentiment contre la tyrannie militaire, pas d’amour du repos et de préférence studieuse, qui pût tenir à un pareil spectacle, chez un homme aussi droit, aussi impressionnable que l’était Courier. Aussi bientôt se montra-t-il parmi les adversaires du nouvel ordre de choses. Alors seulement il éprouva quelque fierté d’avoir autrefois combattu l’étranger dans les armées de la république ; alors aussi il cessa de se désavouer lui-même comme soldat de l’empire ; car à Florence, à Mayence, à Marengo, à Wagram, c’était le même drapeau, c’était la même nécessité révolutionnaire, vaincre pour n’être pas enchaînés, conquérir pour n’être pas conquis.

En se déterminant à élever la voix et à dire au public son avis sur les affaires, Courier avait senti, comme un autre, le besoin d’arranger son personnage ; et, par un bonheur peu commun, tout dans sa vie passée prenait sans effort le caractère du patriotisme le plus désintéressé. La singularité si rare d’avoir été quinze ans les armes à la main contre les coalitions et l’émigration, sans obtenir, sans briguer faveur ni titres, sans être d’aucun des partis qui s’étaient disputé le pouvoir, lui devenait d’un merveilleux secours pour l’autorité de ses paroles. Ce qui parfois était le fait d’une humeur un peu bizarre, d’un esprit distrait et capricieux, passait sur le compte de la fermeté de caractère et de la supériorité de jugement. Le vigneron de Touraine faisait désormais un même homme avec l’ancien canonnier à cheval. Ce n’était plus par hasard, mais par amour du pays, qu’il était allé à la frontière en 1792. Ce n’était plus par insouciance qu’il était demeuré dans son humble condition, mais par haine du pouvoir qui corrompt. Soldat par devoir, paysan par goût, écrivain par passe-temps, tel il se donnait et tel il fut pris. D’ailleurs ne voulant de la charte qu’autant que le gouvernement en voulait, ni plus ni moins, et ne croyant pas à la subite illumination des aveugles-nés, il prétendait appeler les choses