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DE PAUL-LOUIS COURIER.


république, ou bien aimez-vous mieux un empereur ?" En effet, pour des militaires, dire non, c’était tirer l’épée, ou protester inutilement. Car, où était l’autorité qui présiderait au dépouillement de ce vaste scrutin ? qui compterait les voix, et répondrait du respect de Bonaparte pour les répugnances de la majorité ? Courier se garda bien de dire non ; il avait son opinion, cependant. "Un homme comme Bonaparte, disait-il énergiquement, soldat, chef d’armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle Majesté !... Être Bonaparte et se faire Sire!... Il aspire à descendre..."

Si le caractère indépendant, mais peu vigoureux, de Courier ; si son esprit frondeur plutôt qu’arrêté en certains principes, sont assez compris par ce qui précède, on ne s’étonnera point qu’il continuât à servir malgré son peu de goût pour la nouvelle forme de gouvernement établie en France. Courier n’avait jamais aimé la république. La Convention l’avait repoussée comme violente et impitoyable. Il avait méprisé le Directoire comme incapable et vénal. Il n’avait guère éprouvé le bienfait du Consulat que par le loisir dont trois années de paix l’avaient laissé jouir. Peu porté d’ailleurs à accorder aux actions humaines des intentions bien profondes, il vit moins dans l’élévation de Bonaparte à l’empire un attentat d’ambition qu’un égarement de vanité digne de compassion. Le mot d’usurpation ne lui vint même pas pour caractériser l’entreprise du nouveau César, et il ne s’enveloppa point contre lui dans la sombre haine d’un Brutus. L’empire avec ses cordons, ses titres, ses hautes dignités, ses princes, ses ducs, ses barons, estropiant la langue et l’étiquette, sa grotesque fusion de la noblesse des deux régimes, ses conquêtes féodales et ses distributions de royaumes, lui parut d’un bout à l’autre une farce parfois odieuse, presque toujours bouffonne à l’excès. Dans ses lettres écrites d’Italie de 1803 à 1809, il épuise les traits de la plus amère satire contre ces généraux devenus des Majestés à l’image de l’empereur, contre ces états-majors transformés en petites cours, et livrés à la brigue des parentés, à l’adoration des noms anciens et des illustrations nouvelles.

Assurément c’est bien là l’époque prise par son côté ridicule ; côté de vérité, oui, mais qui n’est point toute la vérité. L’histoire y saura montrer autre chose. Si l’on ne s’attache ici qu’au moindre aspect, celui des travers individuels, des vanités, du sot orgueil de tant d’hommes qui, enchaînés à une pensée supérieure, firent, réunis, de si grandes choses, c’est que cet aspect frappa surtout Courier. Il faut voir un instant les choses comme il les vit, pour concevoir en ce qu’elles ont eu de fort excusable des préventions qu’on lui a trop reprochées. L’empire avec ses foudroyantes campagnes de trois jours, ses armées transportées par enchantement d’un bout de l’Europe à l’autre, ses trônes élevés et renversés en un trait de plume, son prodigieux agrandissement, sa calamiteuse et retentissante chute, sera de loin un grand spectacle ; mais, de près, un contemporain y aura vu des misères que la postérité ne verra point. Il y a mieux ; il fallait en être à distance pour l’embrasser dans son vaste ensemble, qui seul est digne d’admiration. Tant qu’il exista, ses grandeurs ne furent célébrées que par des préfets ou des poêtes à gages ; et tel qui paraîtrait aujourd’hui un esprit libre, en jugeant cette fameuse administration de Bonaparte comme elle doit l’être, se serait tu par pudeur sous la censure impériale, ou n’aurait pas vu, comme aujourd’hui, les choses par leur grand côté. Les lettres de Courier tiendront une toute première place parmi les mémoires du temps ; elles font l’histoire, malheureusement assez triste, du moral de nos armées, depuis le moment où Bonaparte eut ouvert à toutes les ambitions la perspective d’arriver à tout par du dévouement à sa personne autant que par des services réels.

Courier se vantait de posséder et de pouvoir publier, quand il le voudrait, comme pièces à l’appui de ses portraits et de ses récits, un grand nombre de lettres à lui écrites aux diverses époques de la révolution par les maréchaux, généraux, grands seigneurs de l’empire, dévoués depuis 1815 à la maison de Bourbon. On aurait vu, disait-il, les mêmes personnages professer dans ces lettres, et avec un égal enthousiasme, suivant l’ordre des dates révolutionnaires, les principes républicains les plus outrés et les doctrines les plus absolues de la servilité ; tenir à honneur d’être regardés comme ennemis des rois, et ramper orgueilleusement dans leurs palais ; commencer leur fortune en sans-culotte et la finir en habit de cour. Mais ce monument des contradictions politiques du temps et de la versatilité humaine dans tous les temps, ne s’est point trouvé dans les papiers de Courier, et la perte assurément n’est pas grande. Le ridicule et l’odieux méritent peu de vivre par eux-mêmes. C’est le coup de pied que leur donne en passant le génie qui les immortalise. Les précieuses, les marquis, les faux dévots du temps de Louis XIV, seraient oubliés sans Molière. Peut-être on s’occuperait peu de nos révolutionnaires scapins dans cinquante ans ; les ravissantes lettres de Courier les feront vivre plus que leurs lâchetés.

Mais voici qui va bien surprendre de la part de l’homme qu’on a vu jusqu’ici tant détaché des idées