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ESSAI SUR LA VIE ET LES ÉCRITS

convenir le mieux, et fut écouté. Il arriva jusqu’à la célébrité sans avoir consenti à se réformer sur aucun des exemples qui l’entouraient, sans avoir subi aucune des influences sous lesquelles des talents non moins heureusement formés que le sien avaient perdu le mouvement, la liberté, l’inspiration. Mais aussi quelle vie plus errante et plus recueillie ; plus semée d’occupations, d’aventures, de fortunes diverses ; plus absorbée par l’étude des livres et plus singulièrement partagée en épreuves, en expériences, en mécomptes du côté des événements et des hommes ? En considérant cette vie, on convient qu’en effet Courier devait rester de son temps un écrivain tout à fait à part.

Paul-Louis Courier est né à Paris en 1773/Son père, riche bourgeois, homme de beaucoup d’esprit et de littérature, avait failli être assassiné par les gens d’un grand seigneur, qui l’accusait d’avoir séduit sa femme, et qui en revanche lui devait, sans vouloir les lui rendre, des sommes considérables. L’aventure avait eu infiniment d’éclat, et le séducteur de la duchesse d’O. avait dû quitter Paris et aller habiter une province. Cette circonstance fut heureuse pour le jeune Courier. Son père, retiré dans les beaux cantons de Touraine, dont les noms ont été popularisés par le Simple Discours et la Pétition des Villageois qu’on empêche de danser, se consacra tout à fait à son éducation. Ce fut donc en ces lieux mêmes, et dans les premiers entretiens paternels, que notre incomparable pamphlétaire puisa l’aversion qu’il a montrée toute sa vie pour une certaine classe de nobles, et ce goût si pur de l’antiquité que respirent tous ses écrits. Il s’en fallait beaucoup, toutefois, que l’élève fût deviné par le maître. Paul-Louis était destiné par son père à la carrière du génie. A quinze ans, il était entre les mains des mathématiciens Callet et Labey. Il montrait sous ces excellents professeurs une grande facilité à tout comprendre, mais peu de cette curiosité, de cette activité d’esprit, qui seules font faire de grands progrès dans les sciences exactes. Son père eût voulu que ses exercices littéraires ne fussent pour lui qu’une distraction, un soulagement à des travaux moins riants et plus utiles. Mais Paul-Louis était toujours plus vivement ramené vers les études qui avaient occupé sa première jeunesse. La séduction opérée sur lui par quelques écrivains anciens, déjà ses modèles favoris, augmentait avec les années et par les efforts qu’on faisait pour le rendre savant plutôt qu’érudit : il eût donné, disait-il, toutes les vérités d’Euclide pour une page d’Isocrate. Ses livres grecs ne le quittaient point ; il leur consacrait tout le temps qu’il pouvait dérober aux sciences. Il entrait toujours plus à fond dans cette littérature unique, devinant déjà tout le profit qu’il en devait tirer plus tard en écrivant sa langue maternelle. Cependant la révolution éclatait. Les événements se pressaient, et menaçaient d’arracher pour longtemps les hommes aux habitudes studieuses et retirées. Le temps était venu où il fallait que chacun eût une part d’activité dans le mouvement général de la nation. On se sentait marcher à la conquête de la liberté. La guerre se préparait. On pouvait présager qu’elle durerait tant qu’il y aurait des bras en France et des émigrés au delà du Rhin. Les circonstances voulurent donc que le jeune Courier sacrifiât ses goûts aux vues que son père avait de tout temps formées sur lui. Il entra à l’école d’artillerie de Châlons : il y était au moment de l’invasion prussienne de 1792. La ville était alors tout en trouble, et le jeune Courier, employé comme ses camarades à la garde des portes, fut soldat pendant quelques jours. L’invasion ayant cédé aux hardis mouvements de Dumouriez dans l’Argone, Paul-Louis eut le loisir d’achever ses études militaires ; enfin, en 1793, il sortit de l’école de Châlons officier d’artillerie, et fut dirigé sur la frontière.

Ici commence la vie militaire de Courier, l’une des plus singulières assurément qu’aient vues les longues guerres et les grandes armées de la révolution. Ceci n’est point une exagération. Ouvrez nos énormes biographies contemporaines. Presque à chaque page est l’histoire de quelqu’un de ces citoyens, soldats improvisés en 1792, qui, faisant peu à peu de la guerre leur métier, s’avancèrent dans les grades et moururent, çà et là, sur les champs de bataille, obtenant une mention plus ou moins brillante. Quelle famille n’a pas eu ainsi son héros, dont elle garde encore le plumet républicain ou la croix impériale, et qu’elle a eu le soin d’immortaliser par une courte notice dans le Moniteur ou dans les tables nécrologiques de M. Panckoucke ? Toutes ces vies d’officiers morts entre le grade de capitaine et celui de commandant de brigade ou de division se ressemblent. Quand on a dit leur enthousiasme de vingt ans, le feu sacré de leur âge mûr, leurs campagnes par toute l’Europe, les victoires auxquelles ils ont contribué, perdus dans les rangs, les drapeaux qu’ils ont pris à l’ennemi, enfin leurs blessures, leurs membres emportés, leur fin glorieuse, il ne reste rien à ajouter qui montre en eux plus que l’homme fait pour massacrer et pour être massacré. C’est vraiment un bien autre héros que Courier. Soldat obligé à l’être, et sachant le métier pour l’avoir appris, comme Bonaparte, dans une école, il prend la guerre en mépris dès qu’il la voit de