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une peur. Sottise, enfance, mon cousin ; il n’est rien de meilleur au monde.

Pour monter cette machine chez vous, et la mettre en mouvement, sans le moindre danger de vos royales personnes, je vous enverrai, si vous voulez, le sieur de Villèle, homme admirable, ou quelque autre de nos amés, avec une vingtaine de préfets. Fiez-vous à eux ; en moins de rien ils vous auront organisé deux Chambres et un ministère, derrière lequel vous dormirez pendant qu’on vous fera de l’argent. Vous aurez, de la haute sphère où nous sommes placés, comme dit Foy, le passe-temps de leurs débats, chose la plus drôle du monde, vrai tapage de chiens et de chats qui se battent dans la rue pour des bribes. Quand leurs criailleries deviennent incommodes, on y fait jeter quelques seaux d’eau dès que le budget est voté.

Octroyez, mon cousin, octroyez une Charte constitutionnelle et tout ce qui s’ensuit :-droit d’élection, jury, liberté de la presse ; accordez, et ne vous embarrassezde rien ; surtout ne manquez pas d’y fourrer une nouvelle noblesse que vous mêlerez avec l’ancienne, autre espèce d’amusement qui vous tiendra en bonne humeur et en santé longtemps. Sans cela, aux Tuileries, nous péririons d’ennui. Quand vous aurez traité avec vos Libéralès, sous la garantie des puissances, et juré l’oubli du passé à tous ces révolutionnaires

,

faites-en pendre cinq ou six, aussitôt après l’amnistie, et faites les autres ducs et pairs, particulièrement s’il y en a qu’on ait vus porteballes ou valets d’écurie ; des avocats, des écrivains, des philosophes bien amoureux de l’égalité, chargez-les de cordons ; couvrez-les de vieux titres, de nouveaux parchemins : puis regardez , je vous défie de prendre du chagrin, lorsque vous verrez ces gens-là parmi vos Sanches et vos Gusman, armorier leurs équipages, écarteler leurs écussons : c’est proprement la petite pièce d’une révolution, c’est une comédie dont on ne se lasse point, et qui pour vos sujets deviendra comme un carnaval perpétuel. J’ai à vous dire bien d’autres choses que pour le présent je remets, priant Dieu sur ce, mon cousin, qu’il vous ait en sa sainte garde. Signé, LOUIS.

Plus bas, DE VILLÈLE.

Pour copie conforme,

PAUL-LOUIS COURIER ,

Vigneron.


PAMPHLET DES PAMPHLETS.
(1824.)

Pendant que l’on m’interrogeait à la préfecture de police sur mes nom, prénoms, qualités, comme vous avez pu voir dans les gazettes du temps, un homme se trouvant là sans fonctions apparentes, m’aborda familièrement, me demanda confidemment si je n’étais point auteur de certaines brochures ; je m’en défendis fort. Ah ! Monsieur, me dit-il, vous êtes un grand génie, vous êtes inimitable. Ce propos, mes amis, me rappela un fait historique peu connu que je vous veux conter par forme d’épisode, digression, parenthèse, comme il vous plaira ; ce m’est tout un.

Je déjeunais chez mon camarade Duroc, logé en ce temps-là, mais depuis peu, notez, dans une vieille maison fort laide, selon moi, entre

cour et jardin, où il occupait le rez-de-chaussée.

Nous étions à table plusieurs, joyeux, en devoir de bien faire, quand tout à coup arrive, et sans être annoncé, notre camarade Bonaparte, nouveau propriétaire de la vieille maison, habitant le premier étage. Il venait en voisin, et cette bonhomie nous étonna au point que pas un des convives ne savait ce qu’il faisait. On se lève, et chacun demandait : Qu’y a-t-il ? Le héros nous fit rasseoir. Il n’était pas de ces camarades à qui l’on peut dire : Mets-toi, et mange avec nous. Cela eût été bon avant l’acquisition de la vieille maison. Debout à nous regarder, ne sachant trop que dire, il allait et venait. Ce sont des artichauts dont vous déjeunez là ? Oui, général. Vous, Rapp, vous