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vient nous attaquer… pourtant je n’ai bien distingué que deux hommes ; mais ils sont énormes !

FRÉDÉRIC, à part.

Deux grenadiers de la compagnie de mon ami le capitaine, sans doute !… Quelle idéel… ces grenadiers me sont envoyés par le ciel ! (Haut.) Écoute. Mina, aimes-tu bien la baronne ?

MINA.

Je me ferais tuer pour elle.

FRÉDÉRIC.

Tu hais les Français ?

MINA.

Autant que vous… (se reprenant) autant que vous les détestez.

FRÉDÉRIC.

Je comprends. Mina, il faut résister, il faut fermer la grille, d’abord… si ces soldats entrent ici, ils mettront tout à feu et à sang, ils en agiront avec toi comme avec ma gouvernante et mon rhum.

MINA.

Comment ! ils ne respecteraient pas Mme la baronne ?

FRÉDÉRIC.

Pas plus elle que toi.

MINA.

Eh bien, ils n’entreront pas ici, je vous le jure ! je cours fermer la grille ; il y a ici des fusils de chasse ; je vas mettre sous les armes Hermann, Fritz et Robert, sans oublier Bug et Bog, les deux chiens de garde… Oh ! nous serons en force, et ils n’entreront pas !

Elle sort par le fond, en criant : Aux armes !


Scène IV.

FRÉDÉRIC ; puis WILHELMINE.
FRÉDÉRIC, riant.

Ah ! ah ! ah !… délicieux ! divin ! le tour est assez coquet, palsambleu !… Ah ! petite baronne, vous me chassez ; patience, mon orgueilleuse, tout-à-l’heure, vous demanderez à capituler. Mina aura beau faire… ces diables de Français entreront… mais, furieux, exaspérés… et alors je me pose en héros, en protecteur de Wilhelmine ; je la sauve, et, modeste après la victoire, je ne mets aucun prix au service rendu… mais ma chère tante n’est pas de marbre, et, à défaut d’amour, la reconnaissance attendrit son cœur. Ah ! voilà mes soldats qui carillonnent. (Il s’approche d’une croisée à gauche.) Ils escaladent la grille… bravo ! les deux chiens de garde se précipitent sur eux !… bravissimo ! (Un coup de feu se fait entendre.) Un coup de feu ! ça marche admirablement !…

WILHELMINE, entrant par la droite, effrayée.

Pourquoi ce bruit ? que se passe-t-il ?

FRÉDÉRIC[1].

Pardonnez-moi, ma chère tante !… soumis à vos désirs, j’aurais dû quitter ce château d’où vous m’avez exilé ; mais un danger vous menace, et j’ai cru…

WILHELMINE.

Un danger, dites-vous ?

FRÉDÉRIC.

Ne vous effrayez pas trop, ma chère Wilhelmine… ils sont arrivés…

WILHELMINE.

De qui parlez-vous donc ?

FRÉDÉRIC.

Des Français.

MINA.

Des Français !

FRÉDÉRIC.

Ils sont dans votre château… ils ont brisé les grilles…

WILHELMINE.

Brisé les grilles !

FRÉDÉRIC.

Rassurez-vous, ils vous respecteront, je l’espère… pourtant, quand ils vous verront si jeune, si belle…

WILHELMINE.

Mais ce coup de feu ?…

FRÉDÉRIC.

Ils l’ont tiré sur vos gens.

WILHELMINE.

Ah ! mon Dieu !… Frédéric, vous aurez pitié de moi… vous ne m’abandonnerez pas.

FRÉDÉRIC.

Vous ne m’exilez donc plus ?

WILHELMINE.

Je vous supplie de rester, au contraire… sans vous, que deviendrais-je !

FRÉDÉRIC, à part.

J’ai réussi !…

WILHELMINE.

Vous allez renvoyer ces Français, n’est-ce pas ?

FRÉDÉRIC, à part.

Les renvoyer… non pas ! (Haut.) Il me sera impossible de leur refuser l’entrée de ce château s’ils ont un billet de logement.

WILHELMINE.

Des billets de logement !… je serai forcée de les recevoir ?…

FRÉDÉRIC.

Pendant un mois, peut-être ; c’est le temps qu’ils doivent rester dans ce pays.

WILHELMINE.

Un mois !… oh ! pendant tout ce mois, Frédéric… vous resterez ici…

FRÉDÉRIC, à part.

Allons donc… elle y vient.

WILHELMINE.

Je ne vous laisserai pas partir.

FRÉDÉRIC, à part.

Peste ! elle me mettrait dans du coton, à présent. (Haut.) Allons, je cède… que peut-on vous refuser, baronne… mais ma gouvernante, mon capitaine, qui m’attendent ?…

WILHELMINE.

Écrivez un mot, Hermann le portera… Tenez, là, dans cette chambre… et revenez vite !

FRÉDÉRIC.

Dans une seconde… charmante baronne… (Il lui baise la main ; à part, en sortant.) Oh ! Richelieu, ce tour-là vaut tous les tiens !

  1. Fridéric, Wilhelmine.