ont tué votre mari, ce pauvre baron de Ranspach, et à coups de canon encore ! un homme de soixante-dix ans, qui ne leur disait rien ! qui était tranquillement à dîner chez lui… deux heures de détonation, à une demi-lieue de ses oreilles, ça lui a figé le sang !
Le souvenir de M. de Ranspach me sera toujours cher ! sans famille, sans fortune, je trouvai en lui un appui, un protecteur.
M. le baron vous a laissé de grands biens et de gros revenus, c’est vrai ; mais, après vous, tout doit retourner à M. Frédéric de Spelberg, le neveu du défunt.
- Heureusement que de la tante
- Le neveu s’ trouve le doyen ;
- L’une à vingt ans, l’autre cinquante,
- Que le neveu se tienne bien !
- Je sais qu’en dépit de son âge,
- Il compte rester le dernier,
- Mais avant qu’arriv’ l’héritage
- On verra partir l’héritier,
- Vous hénirez d’ votre héritier.
Ce pauvre Frédéric te déplaît donc bien ?
Il me crispe les nerfs avec ses petites mines, ses cajoleries ; avec ça qu’il est toujours pommadé et musqué à en incommoder les gens.
Il a pris les habitudes et les manières de la cour de Louis XV, au milieu de laquelle il a passé sa première jeunesse.
Je le déteste au point que, si jamais il arrive à ses fins et qu’il vous épouse, je quitte votre service.
M’épouser, lui !
Oh ! il en a grande envie, l’héritage lui reviendrait tout de suite, et il en a besoin… attendu qu’il ne lui reste plus de sa fortune passée qu’un vieux château tout noir, qui ressemble à un affreux pigeonnier.
Tu te trompes, Mina ; mon cousin ne pense pas du tout à moi.
Oh ! je m’y connais !
M. Frédéric de Spelberg.
Ah !
C’est de l’antipathie !
C’est plus fort que moi, M. le baron m’agace comme une pomme verte !
Scène II.
Eh ! eh ! bonjour, petite.
Votre servante, monsieur le baron.
Elle sort par le fond.
Comment se porte ma chère et belle tante ?… belle, c’est le mot ; car le noir vous sied à ravir ; vous avez ainsi quelque chose de la Dubarry… Permettez, baronne. (Il lui baise la main.) Le roi Louis XV aurait fait bien des folies pour cette petite main-là, et j’en ferais plus encore que le roi Louis XV.
Vous ?
Oui, ma gentille petite tante, je ferais sauter mon château de Spelberg, s’il vous prenait envie de voir danser ses vieilles pierres.
En vérité ?
Oh ! vous n’avez qu’à parler.
Ces paroles, ce regard… qu’avez-vous donc aujourd’hui, mon cher neveu ?
Je suis en belle humeur ; ce matin, j’ai eu quelques réminiscences de mes petits soupers de Paris, le Champagne a pétillé… après le Champagne, la gaîté, l’esprit… oui, ma tante, quand je suis gai, j’ai beaucoup d’esprit… à Paris, quand je m’égayais, je faisais rage… c’était à qui me pousserait à la porte, en disant : Il est insupportable !
Vous êtes, je-crois, dans un de ces momens-là.
Oui, c’est possible… à déjeuner, j’ai été très-folichon… j’ai fait un extra, une petite grisotte, comme disait Dorat, avec une ancienne connaissance, un petit collet, un ex-abbé que j’ai retrouvé capitaine de la république… ah ! ah ! ah ! il a bien changé, il boit moins qu’autrefois !
Vous avez déjeuné avec un capitaine français ?
Sans doute ; il s’est souvenu de moi, et m’est venu faire visite dans mon château, où il s’est installé, avec une quinzaine de grenadiers, qu’il m’a présentés.
Quinze grenadiers !
Des hommes superbes, et bons vivans, je vous
- ↑ Mina, Frédéric, Wilhelmine. Frédéric. Wilhelmine.