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PASCAL. — PENSÉES.

naît misérable. Un arbre ne se connait pas misérable, C’est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable. Toutes ces misères-là mêmes prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédéErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu..

4.

La grandeur de l’homme est si visible, qu’elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l’appelons misère en l’hommeErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., par où nous reconnaissons que sa nature étant aujourd’hui pareille à celle des animaux, il est déchu d’une meilleure nature qui lui était propre autrefois.

Car qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul Émile malheureux de n’être plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange[1] de ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une bouche ? et qui ne se trouvera malheureux de n’avoir qu’un œil ? On ne


1 « D’un roi dépossédé. »

L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. [LAMARTINE.)

Voir le paragraphe suivant.

2 « Misère en l’homme. » Si ce n’est qu’en l’homme que nous l’appelons misère, c’est peut-être parce que l’homme seul en a le sentiment. Cepen- dant Virgile a dit des animaux comme de l’homme :

Optima queque dies miseris mortalibus ævi Prima fugit. (Georg, IX, 66.)

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    l’Entretien entre Pascal et Sacy, qui sert dans notre édition d’introduction aux Pensées, et, dans les Pensées mêmes, l’article xii.

  1. « On trouvait étrange. » On lit ailleurs dans le manuscrit cette ligne isolée : « Paul Emile reprochait à Persée de ce qu’il ne se tuait pas. » — Montaigne, I, 49, p. 113 : « Paulus Æmilius respondit à celuy que ce miserable roy de Macédoine, son prisonnier, luy envoyoit pour le prier de ne le mener pas en son triomphe : Qu’il en face la requeste à soy-mesme. » (Cic., Tuscul., V, 40.)