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ARTICLE I.

Dans la vue de ces infinis, tous les finis sont égaux ; et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l’autre. La seule comparaison[1] que nous faisons de nous au fini nous fait peine.

Si l’homme s’étudiait le premier, il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu’une partie connût le tout ? Mais il aspirera peut-être à connaitre au moins les parties avec lesquelles il a de la proportion[2]. Mais les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec l’autre, que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout.

L’homme, par exemple, a rapport à tout ce qu’il connaît. Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour vivre, d’éléments pour le composer, de chaleur et d’aliments pour le nourrir, d’air pour respirer. Il voit la lumière, il sent les corps ; enfin tout tombe sous son alliance[3].

Il faut donc, pour connaître l’homme, savoir d’où vient qu’il a besoin d’air pour subsister ; et pour connaître l’air, savoir par où il a rapport à la vie de l’homme[4], etc.

La flamme ne subsiste point sans l’air : donc, pour connaître l’un, il faut connaître l’autre.

  1. « La seule comparaison. » C’est-à-dire si la conscience de notre ignorance nous fait peine, c’est en nous comparant à une intelligence finie comme la nôtre et plus grande que la nôtre, comme celle d’un philosophe supérieur ; mais, en nous comparant à l’infini, nous trouverions que le philosophe n’est pas plus que nous, et cela nous consolerait. Comme s’il y avait : la comparaison seule.
  2. « De la proportion. » Toujours l’idée fondamentale du morceau : l’homme est en disproportion avec l’ensemble ; ne sera-t-il pas en proportion avec quelques parties ?
  3. « Sous son alliance. » Pascal avait écrit d’abord sous ses recherches, puis sous sa dépendance ; mais l’idée qu’il voulait rendre est que l’homme a un lien, qu’il est en société, en alliance avec toutes choses.
  4. « A la vie de l’homme, etc. » P. R. supprime l’etc., qui est nécessaire pour qu’on applique le même raisonnement à l’espace, au temps, au mouvement.