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ARTICLE I.

invinciblement cachés dans un secret impénétrable ; également incapable de voir le néant d’où il est tiré[1], et l’infini où il est englouti.

Que fera-t-il donc, sinon d’apercevoir[2] quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin[3] ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu’à l’infini. Qui suivra[4] ces étonnantes démarches[5] ? L’auteur de ces merveilles les comprend ; tout autre[6] ne le peut faire.

Manque d’avoir contemplé[7] ces infinis, les hommes se

    et tout, pour conclure que sa connaissance aussi est nécessairement incapable d’atteindre aux deux bouts des choses.

  1. « Le néant d’où il est tiré. » Non pas seulement dans le sens où on dit qu’il a été crée de rien, mais dans ce sens qu’il est formé d’éléments dont les éléments eux-mêmes se réduisent à l’infiniment petit ou à rien. — Englouti. Image d’une admirable énergie.
  2. « Que fera-t-il donc, sinon d’apercevoir. » Les éditeurs de P. R., afin de rétablir la chaîne du discours qu’ils avaient rompue, placent ici une phrase qu’on retrouvera dans le texte beaucoup plus loin : Son intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que son corps dans l’étendue de la nature, et tout ce qu’elle peut faire est d’apercevoir, etc. Mais ici Pascal ne songe pas à chercher une transition pour passer du corps à l’esprit ; il voit immédiatement, dans la place même que l’homme tient dans la nature, son incapacité pour la comprendre.
  3. « Ni leur principe ni leur fin. » P. R. : d’en connaître ni le principe ni la fin', ce qui est plus conforme à la grammaire.
  4. « Qui suivra. » P. R. : Qui peut suivre ? Ce tour est moins vif.
  5. « Ces étonnantes démarches. » Expression pleine d’imagination, qui peint comme un mouvement des choses elles-mêmes ce qui n’est que le mouvement de notre esprit, passant de la conception de l’atome infiniment petit à celle du tout infiniment grand. Comme l’intervalle est rempli par une série continue, ce mouvement n’est pas un saut brusque, c’est une démarche, mais combien hardie et étonnante ! Par l’emploi du pluriel, toutes choses, comme dit Pascal, semblent s’animer et se mouvoir à la fois.
  6. « Tout autre. » P. R. : nul autre. Ce léger changement altère pourtant la pensée de Pascal. Le tour négatif nul autre indique seulement que personne ne peut comprendre ces merveilles ; le tour positif tout autre indique de plus qu’il y en a qui l’essaient (ce sont les philosophes), mais qu’ils sont impuissants.
  7. « Manque d’avoir contemplé. » On dirait aujourd’hui : faute d’avoir contemplé.