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PASCAL. — PENSÉES.

fin et sans repos, qu’il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible dans l’univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l’égard du néant[1] où l’on ne peut arriver ?

Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même[2], et se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption.

Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant : un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné[3] de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui

    avec éloquence dans un des fragments nouvellement connus (xxv, 3, Cf. ibid., 61).

  1. « A l’égard du néant. » P. R. : à l’égard de la dernière petitesse. C’est une glose pour expliquer et préparer le mot de néant, qui revient plus bas. On a craint que ce mot ne fût pas d’abord assez clair pour ceux qui ne sont pas familiers avec la langue des mathématiques ; car Pascal parle ici cette langue, suivant laquelle l’infiniment petit est égal à zéro. Voir la note à la fin de l’article.
  2. « S’effraiera de soi-même. » P, R. a mis : s’effraiera sans doute de se voir comme suspendu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l’infini et du néant dont il est également éloigné. Il tremblera, etc. Combien le texte de Pascal est plus énergique ! S’effraiera de soi-même, que cela est vif et fort ! Et ces belles expressions, se considérant soutenu, dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces abîmes de l’infini et du néant, combien il vaut mieux qu’elles ne forment qu’une incise, qui laisse la phrase suspendue, et qui aboutit à, il tremblera ! C’est encore une période malheureusement coupée. Et cela peut-être uniquement pour éviter la petite faute du mot considérer répété.
  3. « Infiniment éloigné. » P. R. : Il est infiniment éloigné des deux extrêmes, et son être n’est pas moins distant du néant d’où il est tiré que de l’infini, etc. La phrase ainsi conçue n’est que la répétition inutile de celle qui la précède ; au contraire, la phrase de Pascal ajoute quelque chose à ce qu’il a dit d’abord. Elle part de ce que l’homme est un milieu entre rien