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ARTICLE I.

voie une infinité d’univers[1], dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose, sans

    également. La hardiesse énergique de cette expression a paru bizarre à P. R., qui a mis : de cet atome imperceptible. Il est clair que le mot atome ne doit pas être pris dans son sens rigoureux, puisque Pascal ne reconnaît pas d’indivisible.

  1. « Une infinité d’univers. » P. R. : Une infinité de mondes. En effet, il n’y a rigoureusement qu’un univers, puisque ce mot veut dire le tout ; mais Pascal entend une infinité de systèmes tels que celui que nous autres hommes appelons l’univers. Qu’on remarque la suite de la phrase : Je lui veux peindre non-seulement l’univers visible, mais… une infinité d’univers. P. R., ici comme plus haut, a gâté ce qu’il a cru corriger, et ses corrections ne servent qu’à faire mieux comprendre la valeur du style de Pascal. Mais on ne peut se dispenser de remarquer que tout cela est de pure imagination. Rien ne nous obligea voir une infinité d’univers, avec un firmament chacun et des planètes, dans les éléments les plus subtils du sang d’un ciron. Nous dirons même hardiment qu’il n’y a rien de pareil. De ce que nous concevons ce que nous appelons l’espace comme divisible à l’infini, il n’en résulte pas ces conséquences. Dans sa célèbre lettre à Pascal, le chevalier de Méré disait : « …Je vous demande encore si vous comprenez distinctement qu’en la cent millième partie d’un grain de pavot il y put avoir un monde non-seulement comme celui-ci, mais encore tous ceux qu’Epicure a songés. Pouvez-vous comprendre dans un si petit espace la différence des grandeurs, celle des mouvements et des » distances ?… Trouverez-vous dans un coin si étroit les justes proportions des éloignements, de combien les étoiles sont au-dessus de la terre au prix de la lune ? Mais, sans aller si loin, vous pouvez-vous figurer dans ce petit monde de votre façon la surface de la terre et de la mer, tant de profonds abîmes dans l’une et dans l’autre ?… Ce grand nombre de combats sur la terre et sur la mer, la bataille d’Arbelles ?… La bataille de Lépante me semble encore plus considérable en ce petit monde, à cause du grand bruit de l’artillerie… En vérité, monsieur, je ne crois pas qu’en votre petit monde on pût ranger dans une juste proportion tout ce qui se passe en celui-ci, et dans un ordre si réglé, et sans embarras ; surtout, en des villes si serrées, l’on devrait bien craindre, pour le danger des embrasements, de faire des feux de joie, et de fondre des canons et des cloches. Pensez aussi qu’en cet univers de si peu d’étendue il se trouverait des géomètres de votre sentiment, qui feraient un monde aussi petit au prix du leur que l’est celui que vous formez en comparaison du nôtre, et que ces diminutions n’auraient point de fin. Je vous en laisse tirer la conséquence… » Il y a beaucoup de bon sens dans tout ce badinage : mais Pascal tenait à ses vues. et il les défend