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PASCAL. — PENSÉES.

bas[1] qui l’environnent ; qu’il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers ; que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre[2] décrit ; et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’un point très-délicat[3] à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent[4]. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre : elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir[5]. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein[6] de la nature. Nulle idée n’en approche[7]. Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables[8] : nous n’enfantons

    Qu’il ne s’arrête pas à regarder simplement les objets qui l’environnent.

  1. « Des objets bas. » P. R. supprime cette épithète dédaigneuse. Pour une raison froide, les objets qui nous environnent ne sont pas plus bas que ceux du ciel, mais Pascal parle la langue de l’imagination.
  2. « Cet astre. » Le soleil, qui vient d’être exprimé par une périphrase. Pascal se place dans la supposition que c’est le soleil et les étoiles qui tournent autour de la terre. Cf. xxiv, 17. Il avait mis d’abord : Que le vaste tour qu’elle décrit lui fasse regarder la terre comme un point. C’était le même sens. Elle se rapportait à cette éclatante lumière, c’est-à-dire le soleil. Mais grammaticalement le pronom était équivoque.
  3. « Qu’un point très-délicat. » Mont., ibid. : « Qui se remarque là-dedans, et non soy, mais tout un royaume, comme un traict d’une poincte tres delicate, celuy là seul estime les choses selon leur juste grandeur. »
  4. « Firmament embrassent. » La longue incise qui sépare le que du verbe qui le régit fait sentir combien ce tour est vaste. Les périphrases pompeuses qui expriment le soleil et les étoiles agrandissent encore ces images dans notre esprit.
  5. « Que la nature de fournir. » Il y avait d’abord de concevoir des immensités d’espaces que la nature d’en fournir. Les verbes pris absolument et sans complément disent bien davantage, par le vague même qu’ils laissent dans l’esprit.
  6. « L’ample sein. » Pascal avait mis d’abord dans l’immensité, puis dans l’amplitude. Mais ce mot est sec et trop technique.
  7. « N’en approche. » En se rapportait peut-être à l’immensité, comme Pascal avait écrit d’abord.
  8. « Au delà des espaces imaginables. » Comment concevoir au delà de ce qui est imaginable ? Concevoir n’est pas imaginer. On peut concevoir d’une façon abstraite ce qu’on ne se figure pas d’une manière sensible.