toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement ; de sorte que les hommes sont aujourd’hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s’ils pouvaient avoir vieilli jusqu’à pré sent, en ajoutant aux connaissances qu’ils avaient celles que leurs études auraient pu leur acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la suc cession des hommes que dans les âges différents d’un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme[1] qui subsiste toujours et qui apprend continuelle-
- ↑ « Comme un même homme. » « Cette belle comparaison a été reproduite par Fontenelle dans sa Digression sur les anciens et les modernes. » Note de M. Faugère. — Fontenelle dit : « Un bon esprit cultivé est, pour ainsi dire , composé de tous les esprits des siècles précédents ; ce n’est qu’un même esprit, qui s’est cultivé pendant tout ce temps-là. Ainsi, cet homme, qui a vécu depuis le commencement du monde jusqu’à présent, a eu son enfance, etc. » Lorsque Fontenelle publia sa Digression sur les anciens et les modernes, à la suite de ses Eglogues et de son Discours sur l’Eglogue (1688), le morceau de Pascal n’avait pas paru. Fontenelle avait-il eu l’occasion de le lire en manuscrit ? Mais soit que l’on compare tel ou tel passage, ou l’ensemble des deux écrits , quelle distance entre Pascal et Fontenelle ! Tout le bel esprit de l’académicien est froid, petit, sophistiqué même dans le vrai, et le présentant sous un jour faux. Ici, tout est lumière, chaleur, élévation, c’est la vérité dans sa splendeur. Cette plainte sur la raison indignement traitée et rabaissée jusqu’à l’instinct, cette vue large de l’action continuelle de la nature dans les espèces animales, ce mot sur l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité , cet homme universel , qui subsiste toujours et qui apprend continuellement, voilà des traits de Pascal. La grandeur des choses fait la grandeur de la phrase. Et la fin des deux écrivains ne diffère pas moins que leur style : l’un est un penseur qui veut faire reconnaître les droits de la raison humaine ; l’autre est un poète (puisque cela s’appelle ainsi) qui prétend prouver que la poésie de Théocrite et de Virgile n’est rien au prix de celle de ses Eglogues.