FRAGMENT D’UN TRAITÉ DU VIDE[1].
Le respect que l’on porte à l’antiquité est aujourd’hui à tel point, dans les matières où il doit avoir moins de force, que l’on se fait des oracles de toutes ses pensées, et des mystères[2] même de ses obscurités ; que l’on ne peut plus avancer de nouveautés sans péril, et que le texte d’un auteur suffit pour détruire les plus fortes raisons.
Ce n’est pas que mon intention soit de corriger un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens, parce que l’on en fait trop. Je ne prétends pas bannir leur autorité pour relever le raisonnement tout seul, quoique l’on veuille établir leur autorité seule au préjudice du raisonnement…
Pour faire cette importante distinction[3] avec attention, il faut considérer que les unes dépendent seulement de la mémoire et sont purement historiques, n’ayant pour objet que de savoir ce que les auteurs ont écrit[4] ; les autres dépendent seulement du raisonnement, et sont entièrement dogmatiques, ayant pour objet de chercher et découvrir les vérités cachées. Celles de la première sorte sont bornées,
- ↑ « Fragment... » Ce morceau forme le premier article de l’édition de Bossut, qui l’a publié le premier et l’a intitulé : De l’autorité en matière de philosophie.
- ↑ « Et des mystères. » Ce mot est ici dans toute sa force ; il ne signifie pas seulement des obscurités, mais des obscurités sacrées et vénérables.
- ↑ « Distinction. » La distinction entre les deux sortes de connaissances que l’homme peut poursuivre.
- ↑ « Ont écrit. « En réalité, je ne sais s’il y a beaucoup de sciences qui ne dépendent que de la mémoire, et qui n’aient pour objet que de savoir ce que des auteurs ont écrit. Il faut faire ici nos réserves.