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PASCAL. — PENSÉES.

que je me suis servi des mots anciens. Et comme si[1] les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente[2], aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition.

10.

On se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.

11.

L’esprit croit naturellement[3], et la volonté aime naturellement ; de sorte que, faute de vrais objets, il faut qu’ils s’attachent aux faux.

12.

Ces grands efforts d’esprit où l’âme touche quelquefois[4], sont choses où elle ne se tient pas. Elle y saute seulement, non comme sur le trône[5], pour toujours, mais pour un instant seulement.

  1. « Et comme si. » Cet et n’annonce pas un nouvel argument, mais une nouvelle manière de le présenter.
  2. « Par une disposition différente. » Ajoutons qu’il s’en faut bien que ce soit là toute l’originalité de Pascal. Il est plein d’invention de détail, d’analyses et d’observations neuves, comme celle, par exemple, qui se trouve dans cette phrase, et celle qu’on va lire, et tant d’autres.
  3. « L’esprit croit naturellement. » C’est-à-dire la nature de l’esprit est de croire, et celle de la volonté est d’aimer.
  4. « Ces grands efforts d’esprit, » etc. Pascal avait dans l’esprit le chapitre 29 du second livre des Essais (de la Vertu) : » Ie treuve par experience qu’il y a bien à dire entre les boutecs et saillies de l’ame, ou une resolue et constante habitude, » etc. Cf. vi, 27.
  5. « Comme sur le trône. » Image qui donnerait l’idée d’une âme véritablement maîtresse et souveraine.