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PASCAL. — PENSÉES.

console pas, et ne fait que donner une pointe[1] à la gloire de l’auteur. Tout ce qui n’est que pour l’auteur ne vaut rien. Ambitiosa recidet ornamenta[2].

54.

Je me suis mal trouvé de ces compliments : « Je vous ai bien donné de la peine ; Je crains de vous ennuyer ; Je crains que cela soit trop long. » Ou on entraîne, ou on irrite[3].

55.

Un vrai ami[4] est une chose si avantageuse, même pour les plus grands seigneurs, afin qu’il dise du bien d’eux, et qu’il les soutienne en leur absence même, qu’ils doivent tout faire pour en avoir. Mais qu’ils choisissent bien ; car, s’ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile, quelque bien qu’ils disent d’eux : et même ils n’en diront pas du bien, s’ils se trouvent les plus faibles, car ils n’ont pas d’autorité ; et ainsi ils en médiront par compagnie.

  1. « Donner une pointe. » C’est-à-dire donner à l’auteur l’honneur d’une pointe, d’un trait, qu’on trouve joli.
  2. « Ambitiosa recidet ornamenta. » Citation d’Horace, Poét. 447. Si, comme il paraît, elle n’est pas prise de Montaigne, c’est, je crois, la seule citation d’auteur profane que Pascal ait faite sans la lui emprunter.
  3. « Ou on entraîne, ou on irrite. » C’est-à-dire ou bien on entraîne le lecteur ou l’auditeur, et alors on ne l’ennuie pas, on ne paraît pas trop long ; ou bien on l’ennuie, et alors on l’irrite davantage en s’excusant. Cf. 39.
  4. « Un vrai ami. » Cette pensée est écrite sur la même page du manuscrit que le second fragment du paragraphe 15. L’un et l’autre paraissent être venus à l’esprit de Pascal à l’occasion de son commerce avec le duc de Roannez, qui se l’était attaché, non comme mathématicien, mais comme honnête homme, et à qui un tel ami devait être en effet d’un grand avantage dans le monde. Celui-là n’était pas un sot. — Voir dans La Bruyère, des Grands, l’alinéa qui commence ainsi : « Un homme en place doit aimer son prince, sa femme, ses enfants, et après eux les gens d’esprit ; il les doit adopter, il doit s’en fournir, et n’en jamais manquer, » etc. On voit à ce début seul que La Bruyère vise à mettre de l’esprit dans ce qu’il dit ; Pascal est tout simple, et n’est occupé que de sa pensée.