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PASCAL. — PENSÉES.
48.

En écrivant ma pensée[1], elle m’échappe quelquefois ; mais cela me fait souvenir de ma faiblesse, que j’oublie à toute heure[2] ; ce qui m’instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tends qu’à connaître mon néant.

49.

C’est une plaisante chose à considérer[3], de ce qu’il y a[4] des gens dans le monde qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s’en sont fait eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement, comme, par exemple, les soldats de Mahomet[5], les voleurs, les hérétiques, etc. Et ainsi les logiciens[6]… Il semble que leur licence doive être sans aucune borne ni barrière, voyant qu’ils en ont franchi tant de si justes et de si saintes.

  1. « En écrivant ma pensée. » On lit ailleurs, dans le manuscrit, p. 142, cette phrase barrée : « Pensée échappée. Je la voulais écrire : « j’écris, au lieu, qu’elle m’est échappée. » Au lieu, c’est-à-dire au lieu de cela ; il faut mettre ces mots entre deux virgules. Que d’imprévu dans cette réflexion, et que de profondeur !
  2. « A toute heure. » Ces mots font une belle antithèse avec ce qu’il a dit de sa pensée, qu’elle lui échappe quelquefois.
  3. « C’est une plaisante chose à considérer. » Cf. Montaigne, III, 9, p. 476.
  4. « De ce qu’il y a. » Ce de explétif ne serait pas correct aujourd’hui.
  5. « Les soldats de Mahomet. « P. R. écrit seulement comme, par exemple, les voleurs, etc. Ainsi Pascal mettait intrépidement sur la même ligne les hérétiques et les voleurs ; et les hommes qui n’étaient pas de sa croyance lui paraissaient des gens, comme on dit, sans foi ni loi, qui s’écartaient de l’ordre même de la nature. Un Turc à ses jeux est à peine un homme. Voyez cette gradation dans les Provinciales : « Sont-ce des religieux et des prêtres qui parlent de cette sorte ? Sont-ce des chrétiens ? sont-ce des Turcs ? Sont-ce des hommes ? sont-ce des démons ?… » (Lettre 14).
  6. « Et ainsi les logiciens. » Nous avons mis des points de suspension parce que nous pensons que le sens n’est pas achevé, et que Pascal veut dire qu’ainsi les logiciens se mécomptent, que leur logique est mise en défaut. — Leur licence se rapporte à tous ces gens dont Pascal a parlé.