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ARTICLE VI.

ou à Alexandre ; c’étaient des jeunes gens, qu’il est difficile d’arrêter ; mais César devait être plus mûr.

Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents, et l’ignorance de la vanité des plaisirs absents, causent l’inconstance.

46.

L’éloquence continue ennuie.

Les princes et les rois se jouent quelquefois. Ils ne sont pas toujours sur leurs trônes ; ils s’y ennuient. La grandeur a besoin d’être quittée pour être sentie. La continuité dégoûte en tout. Le froid est agréable pour se chauffer[1].

47.

Mon humeur[2] ne dépend guère du temps : j’ai mes brouillards et mon beau temps au dedans de moi[3]. Le bien et le mal de mes affaires mêmes y font peu : je m’efforce quelquefois de moi-même contre la fortune ; la gloire de la dompter me la fait dompter gaiement ; au lieu que je fais quelquefois le dégoûté dans la bonne fortune.

  1. « Pour se chauffer. » C’est-à-dire, fait qu’on a du plaisir à se chauffer.
  2. « Mon humeur. » Avant cet alinéa, on lit dans le manuscrit ; « Lustravit lampade terras. Le temps et mes humeurs ont peu de liaison. » Pascal répond ici à ce passage de Montaigne, Apol., p. 254 ; « L’air mesme et la serenité du ciel nous apporte quelque mutation, comme dit ce vers grec en Cicero : Tales sunt homimum mentes quali pater ipsc Jupiter auctifera lustravir lampade terras. » [Vers traduits de l’Odyssée, σ, 135, et conservés par saint Augustin, de Civitate Dei, V, 8.]
  3. « Au dedans de moi. » Qui n’a senti par expérience la justesse de cette image ! Ecoutez Phèdre, dans Racine, opposant à sa passion coupable le bonheur d’un amour pur :

    Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.

    Cependant, en général, Montaigne a raison ; et s’il était vrai que Pascal ne ressentit guère, dans son humeur, ni l’influence du temps, ni même celle de la bonne ou de la mauvaise fortune, rien ne témoignerait davantage quelle étonnante force de pensée et d’abstraction il y avait dans l’esprit de Pascal.