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ARTICLE VI.

se peut trouver, et qu’elle est dans les lois et coutumes, il les croit, et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité, et non de leur seule autorité sans vérité. Ainsi il y obéit ; mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre qu’elles ne valent rien ; ce qui se peut faire voir de toutes[1], en les regardant d’un certain côté.


Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes ; car il n’obéit qu’à cause qu’il les croit justes. C’est pourquoi il lui faut dire en même temps qu’il y faut obéir parce qu’elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non parce qu’ils sont justes, mais parce qu’ils sont supérieurs. Par là voilà toute sédition prévenue, si on peut faire entendre cela, et ce que c’est proprement que la définition de la justice.

41.

La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction ; mais la science des mœurs nous consolera toujours de l’ignorance des sciences extérieures.

42.

Le temps guérit les douleurs et les querelles, parce qu’on change, on n’est plus la même personne. Ni l’offensant, ni l’offensé, ne sont plus eux-mêmes. C’est comme un peuple qu’on a irrité, et qu’on reverrait après deux générations[2]. Ce sont encore les Français, mais non les mêmes.

    doctrine, le monde ne serait jamais devenu chrétien. Il veut rendre les révolutions impossibles, mais à quel prix ! Faut-il, parce que la parfaite justice n’est qu’un idéal, accepter ce qu’il y a de plus absurde ou de plus odieux comme une loi éternelle ?

  1. « Faire voir de toutes. » A la bonne heure, mais toutes cependant ne sont pas mauvaises au même degré.
  2. « Deux générations. » C’est la distance entre les guerres de la Ligue et le temps où Pascal écrivait, sous la royauté paisible et déjà triomphante de Louis XIV.