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PASCAL. — PENSÉES.
36.

Les choses ont diverses qualités, et l’âme diverses inclinations ; car rien n’est simple de ce qui s’offre à l’âme, et l’âme ne s’offre[1] jamais simple à aucun sujet. De là vient qu’on pleure et qu’on rit quelquefois d’une même chose.

37.

La tyrannie[2]. Consiste au désir de domination universelle et hors de son ordre.

Diverses chambres[3], de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux, dont chacun règne chez soi, non ailleurs. Et quelquefois ils se rencontrent ; et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maitre l’un de l’autre ; car leur maîtrise[4] est de divers genre. Ils ne s’entendent pas, et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien[5] au royaume des savants ; elle n’est maîtresse que des actions extérieures,

38.

Ferox gens, nullam esse vitam[6] sine armis rati. Ils aiment mieux la mort que la paix ; les autres aiment mieux la mort que la guerre. Toute opinion peut être préférable à la vie, dont l’amour parait si fort et si naturel.

    1654. Le monde a vu, depuis soixante ans, de plus grandes révolutions.

  1. « Et l’âme ne s’offre. » La finesse de cette analyse est relevée par l’antithèse des deux phrases.
  2. « La tyrannie. « Voir le paragraphe 10.
  3. « Diverses chambres. » C’est-à-dire, comme a mis P. R. : Diverses classes.
  4. « Car leur maîtrise. » Ce car se rapporte au mot sottement, comme s’il y avait, je dis sottement, car, etc.
  5. « Elle ne fait rien. » Pascal pense peut-être à la condamnation d’Arnauld, laquelle, suivant lui, ne faisait pas qu’il eût tort.
  6. « Ferox gens, nullam esse vitam. » Montaigne, I, 40, p. 163 : « Caton, consul, pour s’asseurer d’aulcunes villes en Espaigne, ayant seulement interdict aux habitants d’icelles de porter les armes, grand nombre se tuerent : Ferox gens, » etc. (Tit. Liv., xxxiv, 17.)