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ARTICLE VI.

raissent jamais qu’en leur confusion naturelle. La nature les a tous établis sans renfermer l’un en l’autre. La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place[1].

26.

Quand on veut reprendre[2] avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela[3], car il voit qu’il ne se trompait pas, et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or, on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas s’être trompé ; et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions[4] des sens sont toujours vraies.

27.

Ce que peut la vertu[5] d’un homme ne se doit pas mesurer par ses efforts, mais par son ordinaire.

    autre. C’est à quoi servent les classifications. Mais Pascal fait bien de nous avertir de ne pas prendre ces distinctions de notre esprit pour des divisions naturelles.

  1. « Chacune tient sa place. » Ne serait-il pas plus exact de dire que c’est nous qui faisons aux choses dans notre langage des places distinctes, et que dans la nature tout est mêlé ?
  2. « Quand on veut reprendre. » Excellent précepte, que ceux qui enseignent ou qui disputent devraient toujours avoir présent à l’esprit.
  3. « Il se contente de cela » À condition seulement que cela sera fait délicatement et sans pédanterie.
  4. « Comme les appréhensions. » C’est-à-dire : ainsi, par exemple, les appréhensions, etc. On dit aujourd’hui dans les écoles les perceptions.
  5. « Ce que peut la vertu. » Cf. Mont., II, 29, p. 516 : « Il fault, pour iuger bien à poinct d’un homme, principalement contrerooller ses actions communes, et le surprendre en son à tous les iours. »