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mètre ? Où sommes-nous ? Qu’entendons -nous ? Que sont devenus les seize cents ans qui séparent cet homme du Calvaire ? La Passion lui est présente, le regard de Jésus est attaché sur lui, sa bouche divine laisse tomber pour lui une parole plaintive à la fois et consolante, ou la paix du ciel se sent dans ramertume de la mort. C’est un élan de l’imagination, c’est un ébranlement de l’âme, qui serait le dernier effort de la poésie, s’il n’était le ravissement de la foi. Veut-on voir, après la poésie du Calvaire, celle de l’Ancien Testament ? Parmi les traductions que Pascal avait faites de divers passages des prophètes , pour servir à son apologétique, nous en trouvons une qui est un chef-d’œuvre, et ou a passé toute l’inspiration du texte, le plus magnifique peut-être des textes des livres saints ; c’est celle du chapitre lix d’Isaïe : a Écoutez, peuples éloignés, etc. » (Voyez page G04.) C’est l’original de la seconde partie de la prophétie de Joad, dans VAt/ialie de Racine, et Racine même ne l’a pas égalé. On admirera dans la traduction de Pascal la largeur de la phrase, la plénitude de l’expression, la liberté des mouvements ; cela est beau en français sans cesser d’être biblique ; il pense et sent avec le prophète ; il n’a pu méditer ces cantiques sans en être enflammé. Il n’en faut pas plus pour montrer combien ce grand esprit avait le sentiment de la poésie, quoique Voltaire et Condorcet l’aient tancé d’un ton fort dur sur son manque de goût (a). Mais qu’il y a loin de ol taire à Isaïe I

(a) C’est au sujet du fragment sur ce qu’on appelle btauté poétique (vu, 25), où P.iscal, en efTct. ne s’exprime pas bien , mais où il n’en veut apros toul qu’aux sonnets à la moio, tout comme Molière, plus lard, dans le Èlifimihntfie. Pascal semble avoir fait lui-même, au temps sans doute do sa vie mondaine, des vers galants dans le goi’it du jour : et il n’a pas eu tort do croire que la vraie poésie n’était pas là. Mais il la sentait dans Corneille avec uno vivacité dont le témoij^nagc nous reste (xxiv, CV ; cf. vi , 43 ; XXV, 70). La su{iposition da Condorcet, que Pascal n’avait jamais lu Corneille, est insoutenable.