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ARTICLE VI.
10.

… Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : Je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m’aimer. Je suis… La tyrannie est de vouloir avoir[1] par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites : devoir d’amour à l’agrément ; devoir de crainte à la force ; devoir de créance[2] à la science. On doit rendre ces devoirs-là ; on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Et c’est de même être faux et tyran de dire : Il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas ; il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas.

11.

Il y a des vices qui ne tiennent à nous que par d’autres, et qui, en ôtant le tronc, s’emportent comme des branches.

12.

Quand la malignité[3] a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre : quand l’austérité ou le choix sévère n’a pas réussi au vrai bien, et qu’il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour.

    reproche au roi d’Espagne de s’être si longtemps refusé à la paix, et d’avoir fait verser pour son ambition le sang de ses sujets (à la bataille des Dunes, 1658). — Pascal n’a pas voulu dire, tant de Français, et mettre en cause le roi de France.

  1. « La tyrannie est de vouloir avoir. » Cf. 37.
  2. « Devoir de créance. » Pascal pensait-il à ceux qui avaient voulu contraindre par la force la créance de P. R. et la sienne ?
  3. « Quand la malignité. » Je pense que Pascal veut parler de cette malignité des mondains qui critique les saints qui ont rompu avec le monde. Les saints en effet vont quelquefois contre la raison, à force d’enthousiasme. D’autres fois, au contraire, pour vouloir être trop raisonnables, ils résistent à la nature ; et si la nature est la plus forte, et qu’ils y reviennent, ce retour donne encore beau jeu à la malignité.