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PASCAL. — PENSÉES.

n’en sent pas la vérité où elle est, et que, la mettant où elle n’est pas, ses opinions sont toujours très-fausses et très-malsaines[1].


Il est donc vrai[2] de dire que tout le monde est dans l’illusion ; car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n’est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Par exemple, il est vrai qu’il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

3.

Le plus grand des maux[3] est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites ; car tous diront qu’ils méritent. Le mal à craindre d’un sot, qui succède par droit de naissance, n’est ni si grand, ni si sûr[4].

4.

Pourquoi suit-on la pluralité[5] ? est-ce à cause qu’ils ont plus de raison[6] ? non, mais plus de force. Pourquoi suit-on les anciennes lois et les anciennes opinions ? est-ce

  1. « Très-malsaines. » On dirait maintenant très-peu saines.
  2. « Il est donc vrai. » En titre, Raison des effets.
  3. « Le plus grand des maux. » En titre, Opinions du peuple saines.
  4. « Ni si grand, ni si sûr. » Cette défense de l’hérédité royale pouvait paraître irrévérencieuse, et P. R. a cru prudent de la supprimer. L’esprit qui sur le trône de Louis XIV osait par supposition placer un sot, et qui ne se prononçait pour ce sol que de peur d’une guerre civile, était moins soumis qu’il ne croyait. Cf. 7 et 9.
  5. « Pourquoi suit-on la pluralité ? » Nous disons aujourd’hui, la majorité. — Ils. La pluralité, ceux qui la composent.
  6. « Plus de raison. » C’est parce que, la majorité et la minorité se composant d’hommes qui ont en moyenne autant de raison les uns que les autres, il y a probabilité, si toutes les opinions sont libres de se produire, que la plus généralement adoptée sera la plus raisonnable. Ce n’est qu’une probabilité, mais on s’en contente faute de mieux.