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sont moins pénétrées par ses discours : ceux de Pascal mordent sur les plus âpres. Bossuet enfin est toujours le maître de son pathétique comme de son argumentation ; ce sont des forces dont son éloquence s’aide librement : celle de Pascal semble quelquefois emportée invinciblement comme par un poids, et n’en est que plus irrésistible. Dans ces Pensées, qu’il jette sur le papier pour lui seul, et où la passion qui le possède s’épanche sans obstacle, elle lui fait rencontrer de temps en temps un sublime où Bossuet lui-même n’atteint pas. Ces fragments épars, espèces d’oracles de l’esprit qui s’agite en lui, sont quelquefois d’une beauté et d’une originalité de style incomparables, et il faut dire avec M. Sainte-Beuve : « Pascal, admirable écrivain quand il achève, est peut-être encore supérieur là où il fut interrompu[1]. »

Le commentaire qui va suivre présente assez d’analyses du style de Pascal, pour qu’il soit inutile d’en dire davantage ici. Je m’y suis attaché à expliquer ces expressions qu’on appelle créées, en montrant comment un esprit profond ou une âme transportée les crée en effet à son image. Voltaire s’est permis de dire que Pascal est à la fois dans les Pensées « un homme très-éloquent et un mauvais modèle d’éloquence. » Ce propos n’est ni convenable ni juste, mais il a raison quand il ajoute qu’il ne faut pas se mêler de vouloir écrire de ce style, à moins qu’on n’ait un génie de la même trempe. C’est un excellent avis à donner à la jeunesse, et qu’il faut répéter à plus forte raison aujourd’hui, puisque les modifications qu’on avait faites au texte de Pascal pour le faire parler un peu plus comme tout le monde ont disparu définitivement, et que ces fragments, arrachés à la mort, nous sont rendus, non-seulement avec toutes

  1. Il est clair que cela s’entend de l’expression isolée, de ce qu’on appelle le trait, et non de la composition et de l’ensemble.