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PASCAL. — PENSÉES.

bien qu’il sera misérable[1], tout roi qu’il est, s’il y pense.

Je ne parle point[2] en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement comme rois.


La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre[3] insensiblement. Sans cela, nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous porterait à chercher un moyeu plus solide[4] d’en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort[5].

  1. « Qu’il sera misérable. » P. R., malheureux. La première expression n’a pas paru assez respectueuse.
  2. « Je ne parle point. » On ne voit pas pourquoi P. R. a supprimé cette réserve. Ne serait-ce pas à cause de ce que dit ailleurs Pascal (vi, 51) : « Sans cette excuse, je n’eusse pas aperçu qu’il y eût injure. »
  3. « Et qui nous fait perdre. » C’est-à-dire qui nous fait nous perdre.
  4. « Un moyen plus solide. » C’est-à-dire de travailler à notre salut.
  5. « A la mort. » Cf. le second fragment du paragraphe viii : … « Et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort, qui en est le comble éternel. »

    Nicole s’appuie sur ces idées de Pascal dans son traité de la Connaissance de soi-même, chap. 1er : « C’est ce qui a donné lieu à un grand esprit de ce siècle de faire voir dans un excellent discours que ce désir d’éviter la vue de soi-même est la source de toutes les occupations tumultuaires des hommes, et surtout de ce qu’ils appellent divertissement ; qu’ils ne cherchent en tout cela qu’à ne penser point à eux, qu’il suffit pour rendre un homme misérable de l’obliger d’arrêter la vue sur soi, et qu’il n’y a point de félicité humaine qui la puisse soutenir [c’est-à-dire sans doute, qui puisse soutenir la vue de soi-même]. Qu’ainsi l’homme sans la grâce est un grand supplice à lui-même, qu’il ne tend qu’à se fuir, qu’il se regarde en quelque sorte comme son plus grand ennemi, et qu’il fait consister son bonheur à s’oublier soi-même, et à se noyer dans cet oubli. » Plus loin cependant (chap. 3) il n’adopte pas sans réserve ce que dit Pascal, que l’ennui qui accable ceux qui ont été dans de grandes places, quand on les réduit à vivre en repos dans leur maison, vient de ce qu’ils se voient trop, et que personne ne les empêche de songer à eux. « Peut-être que c’est une des causes de leur chagrin ; mais ce n’est pas la seule. C’est aussi parce qu’ils ne se voient pas assez, et qu’il y a moins de choses qui renouvellent l’idée de leur moi, » etc. Mais dans sa lettre au marquis de Sévigné, Nicole combat très-vivement le fond même