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parable, mais on peut douter que ce livre, si difficile, et qu’il aurait recommencé sans cesse, eût été jamais fini.

Du reste, il ne poursuit pas si ardemment le vrai pour le vrai seul, mais en vue du bon et de l’honnête. On a mauvais goût, selon lui, et mauvais sens, parce qu’on manque de cœur : la règle est l’honnêteté (xxiv, 94). Pour lui, on sait quel cœur et quelle généreuse passion animait sa vie et sa parole. Mais la passion dans Pascal, comme la logique, a un caractère à part ; elle est austère, elle est concentrée ; elle consume intérieurement plutôt qu’elle n’embrase. Certes, le style de Bossuet est bien ferme et bien sévère, mais pourtant quelle abondance et quel flot toujours montant, je ne dis pas de paroles, je dis de sentiments et d’images ! Pascal n’a pas cette plénitude du plus grand des orateurs ; son élan ne se soutient pas si longtemps, et ne soulèverait pas le poids d’une œuvre comme le Discours sur l’histoire universelle, ou l’Histoire des variations des églises protestantes. Il n’éprouve guère certains sentiments, tels que l’admiration, qui épanouissent l’âme, et donnent des ailes à la parole ; il n’écrirait pas l’oraison funèbre de Condé, il ne donne pas de pareilles fêtes à l’oreille, à l’imagination et au cœur. Là c’est une véhémence qui commande tout d’abord l’émotion, et qui à chaque parole la nourrit et l’augmente ; ici c’est un raisonnement froid et sec en apparence, mais d’où il part tout à coup des mots qui font tressaillir. Bossuet est comme un général qui déploie son armée dans la plaine pour une grande bataille ; tout est mouvement, tout est bruit : Pascal livre un combat singulier, rapide et silencieux, mais furieux et terrible. Tous deux ont des attendrissements et des larmes, mais il semble que celles de Bossuet rafraîchissent le cœur, et que celles de Pascal le brûlent. La foule est plus aisément touchée par Bossuet, comme plus aisément convaincue ; mais certaines âmes d’une trempe plus dure