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PASCAL. — PENSÉES.

sera demain jour, etc. ; mais souvent la nature nous dément, et ne s’assujettit pas à ses propres règles.

17.

Contradiction est[1] une mauvaise marque de vérité.

Plusieurs choses certaines sont contredites, plusieurs fausses passent sans contradiction : ni la contradiction n’est marque de fausseté, ni l’incontradiction n’est marque de vérité.

18.

Le monde juge bien des choses, car il est dans l’ignorance naturelle, qui est le vrai siége de l’homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent[2] : la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance[3] d’où ils étaient partis. Mais c’est une

  1. « Contradiction est. » Il faut entendre comme s’il y avait : La contradiction, c’est-à-dire le fait d’être contredit, ne fait rien à la vérité des choses, ne fait pas qu’elles soient moins vraies. Pascal pense sans doute ici à la religion, et soutient que, pour être contestée, elle n’est pas douteuse.
  2. « Deux extrémités qui se touchent. » Cette phrase rappelle celle de Montaigne (Apol., p. 213) : « La fin et le commencement de science se tiennent en pareille bestise. » Mais la pensée de Montaigne, en cet endroit, est tout autre que celle de Pascal. Il veut dire que par excès d’esprit on extravague aussi bien que par manque d’esprit.
  3. « En cette même ignorance. » C’est ici qu’il faut citer Montaigne, Apol., p. 123 : « L’ignorance qui estoit naturellement en nous, nous l’avons par longue estude confirmee et averee, « etc. ; mais surtout, I, 54, p. 273 : « Il se peult dire, avecques apparence, qu’il y a ignorance abecedaire, qui va devant la science, aultre doctorale, qui vient aprez la science, etc. Les païsans simples sont honnestes gents, et honnestes gents les philosophes, ou selon que nostre temps les nomme [c’est-à-dire, ou de quelque autre nom que nostre temps les appelle], des natures fortes et claires, enrichies d’une large instruction de sciences utiles : les mestis, qui ont desdaigné le premier siège de l’ignorance des lettres, et n’ont pu ioindre l’aultre (le cul entre deux selles, desquels ie suis et tant d’aultres), sont dangereux, ineptes, importuns ; ceulx-cy troublent le monde. » Ce ton n’est pas celui de Pascal, mais il n’y a que le ton qui diffère. — Voir xxiv, 100.