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PASCAL. — PENSÉES.

notre âme, par une estimation fantastique[1] ; et, par une insolence téméraire, elle amoindrit les grands jusqu’à sa mesure, comme en parlant de Dieu.

12.

Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien ; et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu’ils le possèdent par justice, car ils n’ont que la fantaisie des hommes[2] ; ni force[3] pour le posséder sûrement. Il en est de même de la science, car la maladie l’ôte. Nous sommes incapables[4] et de vrai et de bien.

13.

Qu’est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ? Et dans les enfants, ceux qu’ils ont reçus de la coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux ?

Une différente coutume en donnera d’autres principes naturels[5]. Cela se voit par expérience ; et s’il y en a d’ineffaçables à la coutume, il y en a aussi de la coutume contre la nature, ineffaçables à la nature et à une seconde coutume. Cela dépend de la disposition.

  1. « Par une estimation fantastique. « C’est-à-dire grossit les petits objets, par une estimation fantastique, jusqu’à en remplir notre âme. — Comme en parlant. C’est-à-dire, comme, par exemple, en parlant de Dieu.
  2. « La fantaisie des hommes. » Mais les hommes, en établissant la propriété et sa transmission ; n’ont-ils obéi qu’à leur fantaisie ? Cf. vi, 7 et 50. Nicole, dans sa lettre au marquis de Sévigné, condamne cette pensée.
  3. « Ni force. » Car nul n’est sur que ce qu’il a ne lui sera pas enlevé. Ainsi nous ne sommes pas maîtres de ce que nous appelons notre fortune, car elle ne nous appartient ni par le droit ni par la force. Telle est ici la doctrine de Pascal.
  4. « Nous sommes incapables. » Retranché dans P. R. C’est où Pascal voulait aboutir. Incapables de vrai, il a dit ailleurs pourquoi. Incapables de bien, c’est-à-dire de bonheur, car, indépendamment de la vanité des biens de la terre, ils ne sont pas même vraiment à nous.
  5. « En donnera d’autres principes naturels. » On parle quelquefois, mais on n’écrit pas ainsi. — Mais est-ce qu’un chien ne chasserait pas, quand même il n’aurait pas vu sa mère chasser ?