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Géométrie et passion, voilà tout l’esprit de Pascal, voilà aussi toute son éloquence. Il veut qu’on exprime rigoureusement la vérité telle qu’elle est, de manière qu’il n’y ait rien de trop ni rien de manque (xxiv, 87), point de fausses beautés (vii, 24, 33), rien pour la convention et pour l’art (ibid., 22), rien qui masque (20), qu’on voie l’homme, et non pas l’auteur (28) ; il ne craindra pas de répéter le mot qui convient, plutôt que d’en employer un moins juste (21) ; tout ce qui serait luxe est retranché (xxv, 25) : s’il y a une élégance pour Pascal, ce n’est guère que dans le sens où les mathématiciens emploient ce mot. Cette élégance exacte est laborieuse en morale, car la vérité est une pointe subtile (iii, 3, p. 42), où on a grand’peine à bien toucher. Aussi les procédés qu’il affectionne sont les distinctions et les oppositions, qui sont comme les instruments de précision de l’esprit. Il retourne et tourmente son idée jusqu’à ce qu’il la rende de la façon qui la dégage le mieux, et cela se fait non-seulement par le choix des termes, mais par l’ordre ; c’est pourquoi il n’y a rien de plus important que l’ordre à ses yeux, ni rien de plus difficile. « Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. » (xxv, 108, et vii, 9). Il l’achetait par un travail opiniâtre, au point de refaire souvent jusqu’à huit ou dix fois des pièces que tout autre que lui trouvait admirables dès la première (Préface de l’édition de Port-Royal). Tous les fragments un peu considérables des Pensées sont chargés de ratures et de corrections dans le cahier autographe. Si Pascal a peu écrit, et jamais rien d’étendu, ce n’est pas seulement, je crois, parce que la santé lui a manqué, mais aussi parce qu’il exerçait sur sa pensée une rigueur de critique qui le rendait trop malaisé à contenter, et par laquelle l’exécution d’un grand ouvrage devenait un travail au-dessus des forces humaines. On dit tous les jours que, s’il eût achevé les Pensées, il eût fait un livre incom-